mardi 25 septembre 2018

Au bord de la piscine 4/4

IV
LA PISCINE

C’est pourquoi chaque jour, en début d’après-midi, Maggie prend possession de l’un des trente transats disposés autour de la piscine…
Cela fait une quinzaine de jours qu’elle est à ce régime, si l’on excepte une escapade en bus à La Candelaria. Une heure et demie de trajet avec changement de ligne à Santa Cruz et 800 mètres à pied jusqu’à la basilique, puis autant au retour.
Elle avait dès l’abord été séduite par les neuf statues monumentales en bronze, représentant les Menceyes Guanches – rois indiens de Tenerife – qui bordaient l’extrémité du parvis, faisant dos à la mer ; puis elle était entrée dans l’édifice religieux où se trouvait la représentation de la vierge noire dans une chasse au-dessus du maître-autel. Tous les guides parlaient de cette patronne des Canaries, mais elle fut déçue par sa taille réduite. Elle se demandait, en bonne anglicane qu’elle était, comment les catholiques pouvaient vénérer une Vierge noire aussi ridicule, racistes et intolérants comme ils l’étaient pour la plupart, du moins à ses yeux. Elle fut en revanche séduite par le magistral Christ en croix, dressé devant un dais de velours pourpre dans l’une des chapelles latérale, chef-d’œuvre vivant auquel on avait envie instinctivement de porter secours.
Puis, jugeant qu’elle avait fait le plein en matière de curiosités touristiques, elle avait décidé qu’il était temps pour elle de se poser au bord de cette fameuse piscine d’eau de mer dont M. Montesollo lui avait vanté les mérites, indiquant que c’était le seul hôtel de la ville à bénéficier de ce luxe.


Cette piscine, elle la voyait depuis son balcon. On aurait presque pu ajouter « jour et nuit », car elle était éclairée grâce à un système de spots situés au fond du bassin, de la tombée de la nuit jusqu’à vingt-trois heures. Cela donnait une lueur bleue alentour qui était du plus bel effet mais obligeait à tirer les doubles-rideaux si l’on voulait dormir. Pour Maggie, il n’y avait jamais loin d’un compliment à un sujet de mécontentement. Critiquer était un trait de sa nature profonde et le fait d’en avoir pleinement conscience ne lui avait jamais fait prendre le chemin d’une quelconque rédemption. Grogner était l’un des rares loisirs encore gratuit dans cette vie !


Face à elle, de l’autre côté du bassin, il y a ce type d’une soixantaine d’années qu’elle voit tous les matins étaler sa serviette sur le même transat afin de réserver son emplacement bien que ce soit expressément interdit par le règlement, tout comme le fait de fumer au bord de la piscine ou s’y baigner avec d’énormes bouées, mais personne ne semble se soucier de faire appliquer la moindre consigne ici. Après le petit-déjeuner, l’homme prend place, en maillot de bain noir, sa tablette sur les genoux, et ne bouge plus jusqu’au moment du déjeuner. Elle ne l’a jamais vu se mettre à l’eau. Il reste les yeux fixés sur son écran. Lit-il ? Joue-t-il ? Écrit-il ? Suit-il les cours de la Bourse en temps réel ? Regarde-t-il des vidéos pornos – ou non ?
Le mystère restera à jamais entier. Et, au fond, Maggie se moque bien de ce que fait l’homme sur sa machine, ce qu’elle trouve pathétique en revanche c’est sa capacité à ne rien remarquer de ce qui l’entoure, au point de ne sembler vivre que pour ces quelques pouces de technologie condensée. Quant à elle, rien ne lui échappe de la sorte de ballet qui s’organise autour de ce rectangle d’eau, entre les idylles naissantes, les amours clandestines, les brouilles et autres drames.
Hier, par exemple, elle a vu deux merles à la robe noire et au bec orange venir déloger la tourterelle, l’attaquant tour à tour jusqu’à la forcer à quitter le nid où elle couvait ses œufs, puis mangeant ceux-ci une fois qu’elle s’était retranchée sur une autre branche du palmier. C’étaient manifestement deux mâles, car il lui semblait se souvenir que la femelle est de plumage plus clair, gris foncé.
Aujourd’hui, la tourterelle est perchée sur le mur mitoyen du cimetière anglais, juste au-dessus de l’homme à la tablette qui n’a pas même remarqué sa présence ou entendu ses roucoulements réprobateurs. L’oiseau semble regarder Maggie avec reproche, comme pour lui signifier qu’elle aurait pu intervenir pour la défendre puisqu’elle était sur son balcon au moment de l’attaque. Mais elle ne parviendra pas à lui donner mauvaise conscience, parce qu’à ses yeux un tel drame est dans l’ordre de la nature qui n’est pas moins cruelle que les hommes.


Davantage que le bar du snack, la piscine est le lieu où chacun passe à un moment ou l’autre de la journée ou de son séjour. Maggie a donc décidé d’en faire son poste d’observation. C’est une distraction comme une autre, gratuite de surcroît. Elle lui permet de scruter chacun afin de tenter de percer ses secrets, de définir sa personnalité ou au moins de lui en inventer une à sa guise.
Ce petit jeu a commencé par le jeune cycliste italien. La seule chose dont elle était certaine, c’était sa nationalité car elle l’avait entendu parler. On a beau ne pas être polyglotte, il n’est pas si difficile de faire la différence entre l’espagnol et l’italien. La première langue est plus virile, la seconde davantage mélodieuse et chantante ; l’une a été séchée au soleil aride, l’autre est mouillée, presque poisseuse de langueur. En tout cas, c’est son avis… Et Maggie possède un avis tranché sur chaque chose en même temps que sur chacun.
Elle a décidé qu’il est cycliste à cause de la forme de ses mollets et de celle de ses lunettes. Celles-ci sont légères, incurvées pour couvrir parfaitement les yeux et possèdent des verres aux reflets métalliques. À la télévision, tous les coureurs cyclistes ont les mêmes. À un point que cela en devient ridicule, tout comme pour les combinaisons qu’ils portent désormais et que l’on retrouve peu à peu dans tous les sports, notamment la natation qui a perdu ainsi tout l’intérêt qu’on pouvait lui porter ne serait-ce que pour voir de beau corps sexy dans des maillots qui savaient mettre leurs formes essentielles en valeur. Ce ne sont plus désormais, les uns comme les autres, que des robots stéréotypés, des machines à performance. La performance n’a jamais fait rêver que les imbéciles, il y avait plus à voir et à imaginer lorsque c’étaient des hommes qui s’affrontaient et que l’on pouvait reconnaître au premier regard.
Le jeune homme doit avoir une vingtaine d’années, il voyage avec une amie. Ils prennent leur petit-déjeuner à la même table et c’est le seul moment où on peut les voir tous les deux. Maggie a fait une des deux excursions en car avec lui, c’est là que la chose lui a sauté aux yeux : il ne s’agit pas d’un couple. Probablement est-il homosexuel. En tout cas, c’est l’explication la plus plausible car tous les deux sont trop différents pour être frère et sœur.
Des homos, il y en a deux autres. Un couple de Français quinquagénaires. Ceux-là sont toujours ensemble. Ils partent se promener en ville après le petit-déjeuner et réapparaissent au bord de la piscine en début d’après-midi. Le plus athlétique fait des longueurs à n’en plus finir tandis que son compagnon lit ou fait des mots fléchés sous un parasol. Ce dernier met du temps à entrer dans l’eau, on sent que ce n’est pas son élément favori et, aux grimaces qu’il ne manque pas de faire à chaque fois, que la température de l’eau est trop fraîche à son goût. Ils sont arrivés à l’hôtel il y a une semaine et la mère de l’un d’eux vient juste de les rejoindre. C’est une grande femme mince, à la chevelure d’un blanc immaculé qui attrape le moindre rayon de soleil pour en jouer de mille reflets. Elle doit avoir l’âge de Maggie, à peu de chose près. Ce qui la distingue et la caractérise, c’est une distinction naturelle qui n’a rien de prétentieuse, une aura, un charisme qui attire sur elle tous les regards. Non sans une certaine jalousie, Maggie a parfaitement vu le manège de la vieille Allemande, qu’elle a décidé d’appeler Gundrun…
Gundrun est plus petite, elle compense sa taille par un port de tête légèrement hautain et une garde-robe chic qui fait un peu déplacée dans un contexte de vacances où tout le monde, sans être débraillé, adopte une attitude correcte mais sobre. Rang de perles autour du cou, boucles d’oreilles en or – à clips car les oreilles percées ça n’est pas terrible le jour où l’on décide de ne rien mettre. Cheveux blancs au brushing tellement impeccable qu’ils sentent la perruque à plein nez. Ils ne sont pas du même blanc que ceux de la Française, ceux-là ont des reflets violacés du plus parfait mauvais goût. On la croise le plus souvent attablée à la terrasse du snack devant une bière, regardant les matchs de la Coupe du monde de football sur l’écran qui a été installé à cet effet. Les matchs semblent la passionner beaucoup moins que la Française à laquelle elle lance des regards énamourés, des sourires furtifs. S’imagine-t-elle que le fait que son fils soit pédé la prédispose à accepter les avances d’une lesbienne sur le retour ?
Cependant, Gundrun a un concurrent. Ils sont deux à viser la même proie. L’autre est un Allemand aussi, qui fait partie du même groupe. Un type un peu bedonnant, ce qui s’explique par la quantité impressionnante de bière qu’il peut descendre pendant un match. Il porte des lunettes teintées qui dissimulent son regard, mais comme il ne peut s’empêcher de les faire glisser sur son nez afin de braquer ses yeux en coin sur l’objet de ses fantasmes, il n’a pas été difficile à Maggie de repérer son manège. La seule qui semble ne rien remarquer du manège de ces deux-là, c’est l’objet de leur convoitise. La Française n’a d’yeux que pour le football à la télévision et ses deux garçons dans la piscine. L’innocence est parfois diabolique, il y a là deux malheureux à la langue pendante qui peuvent en témoigner.
En outre, Helmut – c’est le premier prénom qui lui est venu à l’esprit, car elle ne recule devant aucun cliché – a également des vues sur un autre membre de son groupe, genre secrétaire de direction fraîchement retraitée, qui feint ne pas s’apercevoir de sa présence et l’ignore avec superbe…Il y a une bonne raison à cela : elle a un jeune amant, d’une vingtaine d’années de moins qu’elle, avec qui Maggie l’a vue dans les rues de la ville. Celui-ci doit résider dans un autre hôtel où ils se retrouvent chaque après-midi. Pour les avoir entendus parler entre eux, il doit s’agir aussi d’un Allemand. Sans doute sont-ils amants depuis longtemps et cachent-ils ainsi leur relation aux autres membres du groupe. Un comité d’entreprise ? Pourquoi se cacher ? L’un est-il marié ou bien est-ce une question de honte au regard de leur différence d’âge ? Mais, dans ce cas, lequel n’assume-t-il pas ?


Maggie regarde autour d’elle. Il y a une quinzaine de palmiers autour de la piscine, répartis contre le mur mitoyen du cimetière où ils alternent avec de modestes dragonniers ; devant son balcon ; derrière elle où ils semblent faire une haie d’honneur aux chambres de l’aile Est du bâtiment principal ; et un dernier, sans doute le plus vieux, dont on dirait qu’il soutient le corps central de l’hôtel à partir de la volée de marche séparant la piscine du solarium et du snack pour monter jusqu’à hauteur de la suite du deuxième étage. Elle n’aime pas les palmiers, trouve hideux ces troncs qui grimpent au ciel avec une touffe de palmes à leur extrémité comme de grandes gigues échevelées.
Des grandes gigues, il y en a d’autres autour de la piscine, comme ce jeune Américain qu’elle surnomme le Phasme. On dirait une brindille décharnée qu’un simple coup de vent suffirait à emporter. Le pauvre n’a rien pour lui, elle voit parfaitement l’absence de bosse du maillot de bain bleu marine. On pourrait même croire qu’il y a un creux à cet endroit ! Signe particulier : il porte toujours des lunettes de soleil, y compris pour nager, tout comme il garde en permanence des mi-chaussettes blanches dont le dessous est gris de crasse.
Un peu plus loin, il y a le couple de jeunes Russes. Boris et Natacha. Ces deux-là se sont engueulés il y a deux jours. Tout l’hôtel a pu entendre leurs invectives réciproques, puis la porte de leur chambre claquer violemment. Boris a traversé le parvis de la piscine et disparu une heure pour revenir les bras chargés de packs de bières. Depuis, les deux s’ignorent avec superbe. Boris a même réussi à obtenir pour lui un des studios de l’annexe.
Natacha reste au bord de la piscine de longues heures, dans des maillots deux pièces en laine tricotée tout à fait improbables, qui doivent être lourds à traîner lorsqu’elle nage et qui lui tombent littéralement lorsqu’elle sort de l’eau. De son côté, Boris se baigne dans un short noir de footballeur, gardant dessous un boxer de même couleur à ceinture rouge que l’on voit régulièrement dépasser. Il est immense et sec, passe son temps à fumer en laissant traîner ses mégots sur les dalles, descendant des canettes de bières les une après les autres, méthodiquement comme s’il avait un programme de saoulerie à tenir. Peut-être se rabibocheront-ils avant la fin de leur séjour, mais ce n’est pas gagné.


Quinze heures trente. Voici le commando des femmes de chambre qui passent en poussant leurs chariots qu’elles vont laisser dans le local technique à côté de l’ascenseur avant de monter rejoindre le reste du personnel dans l’arrière-cuisine du restaurant où tous vont déjeuner des restes du buffet du petit-déjeuner et du dîner de la veille.
Maggie regarde vers le solarium mais ne distingue rien. Celui-ci, surplombant la piscine, est protégé par une haie de fleurs parmi lesquelles il lui a semblé reconnaître des lys et des becs-de-perroquet orange. Elle n’est pas une spécialiste. L’horticulture l’ennuie. Elle préfère l’observation de ses contemporains. Non qu’elle les aime, bien au contraire ! Au fond, elle n’est rien d’autre qu’une vieille misanthrope aigrie.
Poursuivant sa revue de détail, elle aperçoit celui d’elle affuble du surnom de Jason Statham du pauvre. Un père de famille qui doit friser la quarantaine en essayant de n’avouer que la trentaine. Une vague ressemblance avec l’acteur britannique, le corps moins entretenu avec les prémisses de bourrelets à la ceinture. Il se déplace l’air hautain, traînant derrière lui femme et gamine. La femme est quelconque dans sa blondeur de teinture, la gosse insupportable à force de vouloir singer la morgue de son géniteur. Une jolie famille assurément. Ils se parlent à peine, ou bien par monosyllabes qui semblent aboyées lorsqu’elles sortent de sa bouche à lui. Il doit être homophobe, Maggie l’a vu lancer des regards courroucés en direction des deux Français au petit-déjeuner. Probablement pense-t-il que deux hommes ensemble ne sont pas un spectacle pour sa fille qui n’a pas plus de cinq ans et à qui ce détail a dû totalement échapper. Encore quelques années et elle haïra les tantes comme papa, n’en doutons pas.
On pourrait croire que Margaret Burnham est pour une fois pleine d’indulgence à l’égard de l’homosexualité, cependant l’explication ne tient pas la route. Elle méprise ces gens-là comme tous les autres. Leur sexualité n’est à ses yeux ni une circonstance atténuante, ni aggravante. Elle possède tout une liste de synonymes argotiques plus ou moins aimables pour les désigner. Mais ça ne l’empêche pas de stigmatiser le comportement homophobe des autres car on voit toujours mieux la paille dans l’œil du voisin que la poutre dans le nôtre.


Il y a un autre couple de Français, jeunes et hétéros ceux-là. Ils doivent avoir une vingtaine d’années et sont certainement étudiants. Le garçon a une légère tendance à l’embonpoint, ce qui n’a pas l’air de le complexer une seconde, même s’il est le seul au bord de cette piscine à porter un bermuda qui atténue un peu ses formes. Il partage son temps entre un peu de bronzage à côté de sa copine sur la margelle et de longs moments de brasse dans la piscine. La fille ne bouge de sa serviette que pour se retourner comme un steak en cours de cuisson. Elle ne quitte pas ses lunettes sombres, laisse pendre ses pieds dans l’eau de temps en temps, sans jamais tenter d’y entrer. C’est un couple bizarre. Lui, doit indéniablement être plus amoureux qu’elle. Si ça se trouve, elle lui a laissé payer leur séjour et le plantera une fois de retour en France. Le garçon a brisé sa solitude aquatique en se rapprochant timidement de ses deux compatriotes, avec qui il discute avec la volubilité de qui en a marre de se taire.


On peut voir, décidément, de curieux spécimens au bord de la piscine. Il y a eu un nouvel arrivage de touristes, tout à l’heure. Un couple de Latinos portant sacs à dos monumentaux et Pataugas aux pieds comme s’ils venaient de traverser à pied la Cordillère des Andes. Elle ne saurait leur donner un âge précis. Entre jeunes et vieux. Leur peau tannée de soleil ne permet pas d’être précis à cet égard.
Et puis il y a eu cet autre couple, jeune celui-ci – visiblement des Espagnols du continent –, qui a traversé l’allée presque au pas de course en tirant deux petites valises à roulettes. Le temps de tout déposer dans leur chambre et les voici déjà à l’eau. Elle, barbote. Lui, nage comme un pro, plonge, fait du « sous-l’eau » et réapparaît près d’elle en jaillissant dans une gerbe d’éclaboussures. Ils sont bruyants à leur façon.
Maggie n’a pu manquer de remarquer le short de bain rose du garçon. Il n’est pas équipé de la doublure blanche et légère habituelle, ce qui fait que lorsqu’il se laisse porter sur le dos, le vêtement mouillé étant rendu transparent, on voit nettement la touffe brune sur laquelle un sexe de bonne taille semble s’être endormi. Elle ne déteste pas ces détails qui lui rappellent combien elle a aimé sa vie sexuelle déjà si lointaine et à jamais terminée maintenant que son John n’est plus là.


L’homme à la tablette plie ses affaires. C’est l’heure réglementaire de fermeture de la piscine, dont il est bien le seul à se soucier.
Pour Maggie, c’est le signal qu’il est temps pour elle de regagner sa chambre afin de se préparer pour aller dîner en ville, dans l’une des petites bodegas de la placette devant le port de pêche. Tous ont la bonne idée d’avoir des cartes où sont photographiés leurs plats, ce qui permet de comprendre plus ou moins ce que l’on va commander. Les Espagnols sont comme les Acadiens, allergiques aux mots anglais. Il faut qu’ils traduisent tout. Ici, un hot-dog est un perrito caliente, et un sandwich un bocadillo ; même ces foutus Français et leur supériorité autoproclamée en matière de cuisine n’ont pas osé toucher au mot sandwich !
Margaret Burnham a trouvé une autre raison de râler. C’est bon signe. Y a-t-il autre chose que son aigreur perpétuelle pour la maintenir en vie ?
Au fond d’elle-même, elle doit bien avouer qu’elle a trouvé le paradis où finir ses jours, le plus tard possible, dans une aisance relative qui n’aura rien à voir avec le début de misère que lui promettait la France depuis la disparition de son époux. Son pécule et sa retraite lui permettront de séjourner longtemps à La Isla perdida, elle négociera un prix à l’année. La vie ici ne coûte presque rien, pour peu que l’on tire ses ressources d’un autre pays, car elle a bien compris à quel point le salaire moyen d’ici est bas.
Demain, il lui faudra retourner au Cimetière Anglais, repérer une place et tâcher d’entreprendre les démarche afin de se la réserver. Qu’on n’aille pas la mettre n’importe où après sa mort !
Si elle est bien embouchée, pour une fois, elle enverra une carte postale à M. Montesollo pour lui dire à quel point il a eu raison de l’envoyer ici.
À l’automne, elle fera un saut dans le Lot pour vider la maison, tout jeter puisqu’il n’y aura personne pour vouloir de ces souvenirs inutiles après sa mort, et la mettre en vente. Cet argent viendra grossir sa réserve.
Maggie se rend compte que pour la première fois depuis la mort de John, elle est en train de faire des projets d’avenir. Si le mot n’était pas aussi énorme, elle s’avouerait peut-être qu’elle vient de se découvrir… heureuse.
 

Toulouse,
du 25 juin au 6 septembre 2018.

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