dimanche 23 septembre 2018

Au bord de la piscine 2/4

II
LE VOYAGE
 
Elle s’était rendue à Cahors, dans une agence de voyages, où elle avait fait la connaissance du charmant M. Montesollo à qui elle avait expliqué qu’elle cherchait une destination tranquille, peu onéreuse et si possible ensoleillée.
L’homme avait pris le temps de l’écouter, de la questionner afin de connaître ses goûts et ses attentes le plus précisément possible. C’était manifestement de sa part une démarche à la fois professionnelle et humaine. Il cherchait véritablement à cerner la personnalité de sa visiteuse afin de lui proposer la meilleure destination.
L’agent de voyages pensa d’abord à lui proposer le Maroc, un peu par habitude car c’était l’une des destinations favorites des Français retraités qui cherchaient un point de chute plus ou moins permanent. Il avait dans l’idée un club de vacances qui permettrait à sa cliente de découvrir l’endroit tranquillement avec une base arrière assurée.
C’était une très mauvaise idée !
D’une part, Maggie lui fit observer vertement qu’il n’était pas question pour elle de se commettre dans un quelconque Club Med’, au milieu de gogos sans intérêt ; d’autre part, si elle ne précisa pas sa pensée, il comprit que la destination elle-même n’était pas un choix pertinent. Pour Maggie, le Maroc, c’était une terre musulmane et elle souffrait assez qu’une dizaine de villes de son précieux Royaume Uni soient désormais aux mains de maires de cette confession, notamment Londres, Oldham Manchester où le premier magistrat impose dorénavant la prière musulmane en début de conseil municipal, Birmingham, Leeds, Blackburn, Sheffield, Oxford, Luton, Rochdale…
Maggie, que toutes ces histoires de migrants errants en Méditerranée insupportaient au plus haut point, n’envisageait pas une seconde de rapprocher de leur situation sa propre volonté de trouver un nouveau territoire où s’installer, qui soit économiquement favorable à sa survie. Elle avait la conscience tranquille des égoïstes.
Tenant compte des trois principales exigences énoncées par la peu commode Miss Burnham – finances, tranquillité, ensoleillement –, une destination lui avait très vite paru évidente : les Canaries, situées au large de la côte nord-ouest de l’Afrique et sans aucun rapport avec les Baléares auxquelles on les assimilait si souvent.
Il passa rapidement en revue les sept îles qui composaient l’archipel espagnol, écartant d’autorité la Grande Canarie qui était une destination pour jeunes avides de fêtes alcoolisées et bruyantes, hésita brièvement sur Lanzarote mais jugeât que l’intérêt pour cette île s’émoussait vite au-delà d’une quinzaine de jours, balaya Fuerteventura où il n’imaginait pas que cette vieille anglaise puisse trouver son bonheur, pas plus que sur La Palma, Hierro ou La Gomera quels que puissent être leurs charmes respectifs. Une destination s’imposait : Tenerife. Et encore fallait-il viser le nord de l’île plutôt que le sud qui était davantage touristique au plus mauvais sens du terme : bétonné, bruyant et mal fréquenté à son goût.
Il lui vanta les charmes d’une petite ville de la côte nord, réputée pour ses plages de sable noir issu de l’ancienne activité volcanique de l’île. Un coin tranquille et préservé du tourisme de masse, accueillant en même temps que soucieux de garder son authenticité, possédant en outre de sérieux atouts culturels et se situant assez stratégiquement pour être le point de départ de nombreuses excursions à travers Tenerife. Il sut se montrer convaincant et lui proposa de lui préparer un dossier complet avec la proposition des meilleurs vols aux dates qu’elle lui indiquait, ainsi qu’un panel d’hôtels correspondants à ses attentes en termes de confort.
Maggie était ressortie enchantée de ce premier contact avec M. Montesollo. Il avait été convenu entre eux qu’il la rappellerait sous quarante-huit heures afin de lui faire une offre clés en main.
Bien que St-Vincent ne fût pas à proprement parler une zone blanche, l’accès à Internet y était souvent chaotique. Cependant, après quelques efforts infructueux, Maggie réussit à aller à la pêche aux renseignements de son côté. C’est ainsi qu’elle eut la mauvaise surprise de constater que Tenerife Nord – Los Rodeos figurait sur la liste des aéroports les plus dangereux au monde, à la suite de la plus grave catastrophe aérienne à ce jour, qui avait vu deux Boeing 747 entrer en collision sur la piste à cause d’un épais brouillard et d’une absence manifeste de communication entre équipages et tour de contrôle. 583 personnes y avaient laissé la vie !
Lorsque l’agent de voyages l’avait rappelée, c’est une dame offusquée et irritée qu’il avait eue en ligne. Celle-ci lui avait fait part de sa découverte en lui reprochant de ne pas l’avoir prévenue du péril que représentait cette destination. Le brave M. Montesollo avait dû user d’un trésor de diplomatie pour lui expliquer que cette catastrophe remontait à une quarantaine d’années – en 1977, pour être précis – et que les équipements radars de l’aéroport répondaient désormais aux normes internationales.
L’ayant convaincue, il lui fit part des vols qui lui semblaient le mieux correspondre à son voyage et des hôtels sélectionnés, tout en ne lui cachant pas sa prédilection personnelle pour un trois-étoiles entièrement rénové, qui venait d’ouvrir le mois précédent, après deux ans de travaux.
Margaret Burnham, était d’un caractère indécis qu’elle cachait habituellement derrière un volontarisme va-t-en-guerre, aussi prit-elle le parti de suivre à la lettre les recommandations du voyagiste. C’est ainsi qu’elle s’embarqua dans le plus épouvantable voyage de sa vie…


Cela commença dès le départ de St-Vincent. Le taxi qu’elle avait réservé pour la conduire à la gare de Cahors était en retard. Fort heureusement, elle avait anticipé la chose et pris une large marge pour être certaine d’attraper le train qui devait la mener jusqu’à Toulouse. Puis, ce fut au tour du train de 6 h 25 d’être supprimé à la dernière minute pour cause de grève des cheminots. Une grève perlée qui durait depuis des semaines et voyait les trains ne circuler que trois jours sur cinq, dans le meilleur des cas… Les TER ne circulant plus, celui de 7 h 15 était également supprimé et ce fut un miracle qu’elle puisse sauter dans l’Intercités de 7 h 42 qui la laissa à Matabiau à 8 h 49, c’est-à-dire sans retard si l’on veut absolument faire preuve d’humour et de flegme !
Se rentre ensuite à l’aéroport avec sa grosse valise à roulette et son énorme sac besace ne fut pas non plus une mince affaire. Il lui fallut prendre le métro ligne A sous la gare, changer à la station suivante pour la ligne B jusqu’au Palais de Justice et, là, sortir de terre pour embarquer dans un tramway jusqu’à destination. Plus d’une heure de trajet en tout !
À l’aéroport, il lui avait fallu marcher interminablement. L’enregistrement des bagages pour la compagnie Iberia se faisant dans le Hall A et le passage de la sécurité dans le Hall D. Trajet sans le moindre tapis roulant.
Bien sûr, elle avait déclenché la sonnerie du portique parce qu’elle avait gardé son passeport à la main et qu’il était enveloppé dans un étui de cuir qui portait un compartiment à fermeture éclair métallique. Il lui avait alors fallu tendre les mains, se les laisser tamponner pour un prélèvement destiné à vérifier qu’elle n’avait pas manipulé de substance dangereuse et attendre que la machine rende son verdict. C’était très bref, mais tout de même un peu humiliant. On l’arrêtait, elle, alors que tous ces « barbus » passaient sans le moindre problème !
Après ce contrôle, elle avait dû traverser la nouvelle zone duty free, avec ses éternels et internationaux étalages d’alcools, de cigarettes, de parfums et autres spécialités locales. Comme si les taxes aéroportuaires prohibitives sur les billets ne suffisaient pas à payer la mégalomanie des actionnaires.
Ensuite, il lui avait fallu gagner la salle d’embarquement. Encore des centaines de mètres de couloirs, avec cette fois des tapis roulants, mais dont un sur deux était à l’arrêt. Et affronter un nouveau contrôle de police avec présentation de passeport et carte d’embarquement. Comme si elle n’était pas une citoyenne européenne se déplaçant à l’intérieur de l’espace Schengen… Décidément, les irréguliers semblaient se déplacer plus aisément que les autres dans cette Europe que ses compatriotes avaient décidé de bouder une fois pour toutes. Ce qu’ils n’avaient d’ailleurs jamais cessé de faire depuis le début. Margaret Tatcher avait eu parfaitement raison de réclamer « I want my money back. » Foutus Européens, comme si le Royaume Unis n’était pas une superpuissance à elle seule !
Bien sûr, la salle d’embarquement se situait au rez-de-chaussée et il lui avait fallu descendre un escalator à pic pour se retrouver dans une sorte de hall froid, bétonné et résonnant. Une Espagnole était au téléphone, racontant sa vie – ou quoi que ce fût – comme si elle s’était trouvée seule dans sa salle de bains. C’était volubile et bruyant, sans le moindre respect pour les personnes alentour, qui essayaient de lire, consulter les messages sur leurs smartphones ou Dieu sait quoi.
Puis il fallut embarquer dans un bus à soufflet qui puait le diesel et les effluves de parfums bon marché, faire des centaines de mètres jusqu’à la passerelle de l’appareil qui attendait sur le tarmac. Visiblement, le vol n’était pas suffisamment important pour qu’on lui accorde un de ces bras articulés qui permettent d’aller directement de la salle d’embarquement à l’entrée de l’appareil.
Le vol Toulouse-Madrid s’était bien déroulé, même si elle avait trouvé ridicule l’uniforme des hôtesses, qui portaient une jupe à trois volants – deux rouges et un plus ou moins ocre jaune – qui étaient censés rappeler le drapeau national de façon assez miteuse. Elles arboraient toutes un chignon fait à partir d’une queue-de-cheval, qui laissait un trou central comme s’il se fut agi d’un donut. Maggie était toujours ébahie de voir à quel point les employés pouvaient être amenés à consentir de se couvrir de ridicule pour garder leur emploi ; c’était un peu comme toutes ces caissières qui s’affublent d’un bonnet rouge à frange blanche au moment de Noël. Elle se disait qu’il y avait là matière à un mouvement syndical davantage justifié que celui de la SNCF qui avait failli lui faire rater son vol.
À l’aéroport de Madrid, il lui avait fallu presser le pas pour ne pas rater sa correspondance. Débarquée à la porte K89, il lui fallait rejoindre la I6, qui semblait se situer à l’autre bout d’un hall interminable. Heureusement, il y avait ici des tapis roulants à foison et en parfait état de fonctionnement.
Enfin, il y eut un point positif : le système d’embarquement était étudié de façon ergonomique. Trois groupes de passagers étaient créés selon la situation de leur siège respectif. Ceux situés à la queue de l’avion embarquaient en premier, puis ceux qui se trouvaient au milieu et enfin ceux qui avaient la chance d’être situés à l’avant, ce qui leur permettrait de sortir plus vite de la boîte de conserve volante. Bien évidemment, une dérogation était prévue pour les passe-droits habituels, les gogos qui payaient un billet le triple du prix pour bénéficier d’un siège dans les cinq premiers rangs, qui n’était ni plus ni moins confortable que tous les autres au-delà du rideau délimitant la business class du commun des mortels. Le snobisme des uns et la carte de crédit de l’entreprise des autres, permettaient à la compagnie de profiter d’un petit bénéfice supplémentaire. La vérité était que les compagnies aériennes et les constructeurs voulaient des avions de plus en plus légers afin de faire des économies de kérosène, ce qui entraînait l’installation de fauteuils étriqués, dont le rembourrage n’était plus qu’une sorte de mousse digne d’un tapis de sol pour gymnastique de vieillards adipeux. La seule innovation qui trouvait grâce à ses yeux, c’était le fait que lesdits sièges ne soient plus inclinables, ce qui évitait que l’on se retrouve coincé contre sa tablette quand le passager de devant décidait de prendre ses aises sans se soucier du reste ou des autres.
Après une demi-heure de vol, le commandant de bord prit la parole en espagnol, pour un discours qui lui parut assez long et auquel elle ne comprit pas un mot. Elle attendit avec une certaine anxiété qu’il fasse son annonce en anglais, comme il est de mise dans le transport aérien. Son anxiété se transforma alors en réelle panique lorsqu’elle comprit enfin la teneur des propos tenus par le pilote…
La piste allouée au décollage de l’Airbus A321 était trop courte de plus d’un kilomètre, compte tenu du poids de l’appareil, de ses passagers et des bagages embarqués. Il avait fallu mettre « plein gaz » pour quitter le sol, ce qui avait représenté une ponction énorme sur la réserve de carburant. En conséquence, l’avion allait devoir voler à une altitude supérieure à celle qui était prévue, afin de pouvoir bénéficier d’une possibilité de « planer » davantage et plus longuement. Pour cette raison, l’océan et les côtes marocaines ne seraient pas visibles durant le vol, comme c’était le cas habituellement.
Incrédule, elle s’était demandé s’il ne s’agissait pas d’un canular de mauvais goût. Comment pouvait-on faire une annonce semblable, au risque de déclencher une panique folle chez les passagers ? Mais ceux-ci ne semblaient pas prêter la moindre attention à l’annonce qui était faite, pas plus en tout cas qu’ils n’avaient écouté les consignes de sécurité au décollage et regardé les hôtesses faisant leur show dans une chorégraphie un peu nunuche que Pedro Almodóvar avait rendue célèbre dans Les amants passagers.
L’avion avait donc pris de l’altitude, ce qui avait eu pour effet bénéfique d’éviter les turbulences engendrées par l’entrée dans les zones nuageuses. Le vent arrière avait permis de gagner un quart d’heure sur le temps de vol prévu et c’est avec une certaine satisfaction que Maggie avait senti les roues toucher le sol, malgré un rebond du plus mauvais effet.
L’attente devant le tapis à bagages fut très longue, au point qu’elle se demanda si sa valise n’arriverait pas par le prochain vol. Mais celle-ci finit par apparaître et elle put gagner la sortie. La station de taxis était à droite, il y avait une file d’attente à l’intérieur de l’aérogare et les voitures étaient attribuées en fonction de l’ordre d’arrivée des clients, ce qui démontrait une organisation moins anarchique que celle qu’elle avait pu connaître en France ces dernières années.
Elle prit place à l’arrière d’un véhicule blanc dont les flancs étaient ornés d’une inscription qu’elle ne put déchiffrer et d’une sorte de plan coloré ressemblant à celui d’une ligne de métro. Elle donna le nom de son hôtel, La Isla perdida, mais son manque d’accent ne sembla pas convaincre le chauffeur. Alors, elle lui tendit la feuille de réservation que lui avait donnée M. Montesollo.
Elle vit que le chauffeur se signait et touchait la médaille de la vierge qui était pendue à son rétroviseur intérieur. La rapidité avec laquelle il parcourut les trente-cinq kilomètres jusqu’à sa destination lui sembla une explication plausible pour cette manifestation superstitieuse au moment du départ, mais elle fut heureusement surprise par la modicité du prix de la course. Cela augurait bien du reste de son séjour.

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