mardi 24 décembre 2013

Effeuillage

Au Bel Ange qui m’a
laissé caresser ses plumes…



Plongée dans la pénombre, la pièce n’est chichement éclairée que par un rai de lumière orangée provenant du lampadaire de la rue, qui s’insinue entre les lourds rideaux cramoisis mal joints.
Je l’ai entraîné dans le bureau, parce que c’est ma pièce favorite, celle dans laquelle j’ai toujours aimé me tenir. Me "terrer" serait sans doute plus juste. J’ai fait mon nid au milieu de ces bibliothèques qui couvrent tous les murs, ne s’interrompant que pour admettre deux hautes fenêtres et une large porte à double battant. L’immeuble est bourgeois, haussmannien, ce qui explique les volumes d’un autre temps, la hauteur de plafond qui fait que pour atteindre les livres les plus haut perchés, il y a la nécessité de monter à l’échelle qui glisse sur la barre de cuivre qui court tout au long des rayonnages de noyer sur lesquels s’empilent les lectures de toute une vie, ouvrages parfois rares, éditions originales richement reliées, envois d’auteurs à la dédicace amicalement personnalisée… Et aussi, dans la partie basse, cachés derrière des portes verrouillées, non pas l’enfer des livres à ne pas mettre entre toutes les mains, mais les éditions plus récentes, mal brochées, dont la reliure en dos carré collé se casse quand on les ouvre trop largement, qui n’ont ni la majesté ni la solidité des cahiers cousus. Également les livres de poche qui m’accompagnent dans mes voyages, parce qu’ils supportent mieux le train et le transat sur la terrasse à la campagne qu’un in-quarto vieux de cent ans et plus, qu’on ne peut manipuler qu’avec le plus grand respect…
Je suis un vieux maniaque. Les livres sont toute ma vie. Je les ai aimés bien davantage que les hommes, caressés et dévorés avec plus de passion sans aucun doute. Ils m’ont apporté des jouissances extrêmes dont le souvenir ne s’effacera qu’avec moi.
Outre cette cathédrale de livres, la pièce est meublée d’un large bureau "ministre" auquel j’aime travailler confortablement installé dans un fauteuil voltaire et de l’autre côté duquel se trouvent deux fauteuils crapaud assortis au canapé de cuir vert bouteille qui se trouve plus loin, au centre de la pièce, et devant lequel nous nous tenons précisément.
J’ai écarté la table basse qui se trouve habituellement à cet endroit, afin que nous ayons nos aises.
Détail important que j’allais oublier… Entre les deux fenêtres, sur l’un des rayonnages de la bibliothèque est posé un vieil électrophone Teppaz en parfait état de fonctionnement. Il y a d’ailleurs un microsillon de vinyle noir qui tourne et la voix de Juliette Gréco s’élève de l’unique haut-parleur de l’appareil. Ça crachote un peu, car le disque est usé. C’est un enregistrement de 1967. Un des premiers 45 tours que j’avais acheté et que je jouais dans ma petite chambre d’étudiant, sur la montagne Sainte-Geneviève. J’avais alors vingt-cinq ans, l’âge de ce garçon qui se tient devant moi et me regarde intensément.
Tout à l’heure, c’est lui qui s’est extasié devant l’antique électrophone et la pile de disques qui le flanquent de part et d’autre. Il a caressé la petite valise verte, me demandant s’il pouvait l’ouvrir et si l’appareil fonctionne encore. Comme je le lui confirmais, il a fouillé parmi les pochettes cartonnées pour arrêter son choix sur cette vieille chanson sensuelle.
— Celle-là est parfaite et me donne une idée, a-t-il dit avec un petit sourire énigmatique, les yeux pétillants de malice.
— Lequel est-ce ? ai-je demandé en voulant me rapprocher pour voir sur quoi s’était porté son choix.
Il m’a arrêté d’un geste de la main.
— Non, c’est une surprise ! Reste où tu es, ferme les yeux et attends-moi…
J’ai noté ce tutoiement insolite, dont il usait pour la première fois avec moi. Nous nous connaissions à peine et jusqu’à présent son éducation lui avait fait adopter le voussoiement qui sied lorsque l’on s’adresse à un aîné.
Il a allumé l’appareil, soulevé le bras de lecture, l’a tiré doucement en arrière sur la droite pour déclencher le plateau puis l’a ramené afin de le poser sur le disque qui commençait à tourner. Il a monté le volume et est venu jusqu’à moi.
J’ai senti ses lèvres sur les miennes, ses doigts sur mes joues qui remontaient jusqu’à mes yeux. D’une légère pression il m’a indiqué que je pouvais ouvrir les paupières.
— Écoute, a-t-il murmuré, maintenant c’est à toi de jouer…
D’une voix chaude et sensuelle, Gréco semble vouloir me guider depuis l’extrémité de la pièce :

Déshabillez-moi, déshabillez-moi
Oui, mais pas tout de suite, pas trop vite


Pour déroutante qu’elle soit, c’est manifestement une invitation au jeu. Cela m’effraie un peu, je ne suis pas certain de me montrer à la hauteur. Je ressens comme une timidité, la peur de me montrer ridicule, l’intuition de ce qu’il peut y avoir de choquant dans le couple que nous formons. À cet instant, ce que je voudrais ôter, ce ne sont pas ses vêtements, c’est le demi-siècle qui nous sépare. Je réalise que ce garçon a précisément l’âge qui était le mien lorsque j’ai découvert cette chanson.
Brièvement, je le regarde intensément avant de fermer les yeux. Puis je reconstitue l’image à l’abri de mes paupières closes. Je ne m’interdis pas de le regarder, ce sont mes yeux que je lui dérobe afin de ne pas trahir tout ce qui me passe par la tête à cet instant. Je sais que « le regard, tout le temps du prélude, ne doit pas être rude, ni hagard. »
Il a la taille que j’avais à son âge, avant que le temps ne me tasse. Ses cheveux châtains sont coupés très courts, dégageant un front large et accentuant l’effet de décollement de son oreille gauche. Ses sourcils dessinent un trait horizontal, qui se rétrécie à la pointe, au-dessus des yeux noisette légèrement enfoncés de part et d’autre d’un nez aquilin. Les pommettes sont proéminentes, les lèvres minces entrouvertes sur un sourire laissent voir deux incisives supérieures saines et bien plantées, le menton est volontaire, légèrement marqué de l’esquisse d’une courte fossette. La Pomme d’Adam est à peine saillante.
Il est vêtu d’un blouson de cuir bicolore Redskins à col "moto" dont la fermeture Éclair est descendue à moitié, laissant voir dessous ce qui doit être un tee-shirt noir, le pantalon est un jean et aux pieds il porte des chaussures de sport en cuir marron.

Le garçon prend ma main et la porte à la fermeture à glissière de son blouson.
— Allez, murmure-t-il.
Je rouvre les yeux. Son sourire se fait engageant, amusé par la concordance des paroles de la chanson…

Déshabillez-moi, déshabillez-moi
Mais ne soyez pas comme tous les hommes, trop pressés.


Je descends lentement le Zip, puisqu’il paraît que c’est ainsi qu’il faut dire désormais, dans une époque qui excelle à changer les mots pour se donner l’illusion de la modernité.
Dans la pénombre, j’ai du mal à distinguer si la dominante du blouson est noire ou marron. En revanche, la couleur d’accompagnement est le blanc. C’est celle que l’on retrouve au niveau de l’articulation des épaules, ainsi que dans les deux bandes parallèles qui descendent le long de chaque bras côté extérieur, à l’intérieur du col et sur le renfort de la fermeture ventrale.
Au-dessus de la poche de poitrine droite, un logo rectangulaire bicolore indique sobrement « RDS ». L’entourage à bord arrondi est blanc ainsi que le tiers supérieur des lettres. Un écusson circulaire est également apposé sur le bras gauche, mais je n’ai pas le temps d’en saisir les détails car déjà le blouson glisse au sol.

Je repense à son arrivée, tout à l’heure. Je le revois dans le corridor, la porte à peine repoussée, jetant un coup d’œil rapide autour de lui.
— J’ai toujours voulu visiter votre appartement, m’a-t-il dit. Il s’y attachait pour moi une image sulfureuse et, à la puberté, lorsque j’ai découvert la sexualité et mes propres goûts, j’imaginais – et phantasmais sur – les orgies qui pouvaient s’y dérouler…
— Vous aviez bien de l’imagination, jeune homme ! lui ai-je répondu. Il n’y a jamais rien eu de tout cela ici.
— Peut-être, mais nos parents nous avaient prévenus, mon frère et moi, contre vous et vos invités à la réputation sulfureuse. Je crois qu’en fait ils étaient jaloux. Père n’avait pas le plaisir de recevoir à sa table autant d’écrivains et d’artistes de renom que ceux qu’il lui arrivait de voir monter chez vous. En même temps, jamais il n’aurait pu traiter cette « bande de pédales décadentes » ainsi qu’il les nommait, a-t-il ajouté avec un grand sourire.
Décidément, ce garçon me plaisait. Je trouvais une certaine fraîcheur dans sa façon directe de s’exprimer. Je n’avais guère de souvenir de l’enfant qu’il avait été. Nous ne nous étions pas beaucoup croisés. Alors que je lui en faisais la remarque, il m’apprit qu’ordre leur avait été donné, à son frère et lui, de ne pas monter dans l’ascenseur en même temps que moi s’ils n’étaient pas accompagnés d’un adulte. C’était parfaitement ridicule, jamais je ne m’étais intéressé à un gamin de ma vie !
Cette scène ne date que de quelques minutes à peine, et je sens bien tout ce qui a changé depuis. Ce jeune homme qui m’invite à le dénuder, si l’on rapporte son âge au mien, ne fait-il pas figure de petit garçon face un adulte prédateur ?

Dirigez bien vos gestes
Ni trop lents, ni trop lestes, sur ma peau



Voici maintenant le Tee-shirt. La poitrine en est noire, à l’exception d’une marque de vêtements de sport et du logo de celle-ci, un félin bondissant, qui sont jaune ainsi que les manches courtes et le tour du col. Pour le moment, je n’y touche pas. Mes mains se portent à la ceinture du jean, défont le premier bouton de la braguette, puis le second avant de remonter timidement pour une caresse sur ce torse où deux mamelons marquent clairement leur position sous la légèreté du coton.

De votre main experte, allez-y…

Je fais remonter le Tee-shirt jusqu’à son cou. Il tend les bras au-dessus de la tête pour que je puisse le lui enlever plus facilement.
Le torse est glabre, à l’exception d’un fin duvet qui descend en triangle le long du sternum, partant du cou entre les pectoraux.
L’excitation que je ressens est nouvelle pour moi. Je ne peux m’empêcher d’y voir une forme de perversion. En même temps, si je veux être honnête avec moi-même, j’ai du mal à m’attribuer seul ce qu’il peut y avoir de pervers dans la situation présente. Il ne s’agit pas pour autant de rejeter toute la faute – si tant est qu’il y ait faute –, sur ce jeune homme qui m’a l’air de parfaitement savoir ce qu’il veut, ce qu’il fait et avec qui il le fait.
Est-ce pour m’épargner de me baisser ? le voici maintenant qui se porte à mon secours en enlevant lui-même ses chaussures, l’une se portant sur le talon de l’autre tandis que le pied nu se soulève pour s’extraire avant de rendre un service identique au second. Les deux chaussures sont ensuite expédiées un peu plus loin d’un mouvement brusque qui n’est pas sans rappeler le tir d’un penalty…

Comment en sommes-nous arrivés là ?
Croirait-on qu’il ne s’agit de rien d’autre que du hasard d’une rencontre dans un ascenseur ?
Je rentrais de ma promenade quotidienne, hier, lorsque j’ai vu une silhouette se précipiter dans le hall de l’immeuble, venant vers l’ascenseur où je venais de pénétrer. Ce n’était qu’une silhouette, puisque le casque intégral qu’il portait sur la tête ne me permettait pas de l’identifier. J’ai retenu la porte afin qu’il puisse entrer à son tour. Il a appuyé sur le bouton du troisième étage tandis que la grille se refermait ainsi que la porte métallique pleine qu’il a fallu rajouter pour faire plaisir à l’Union Européenne et qui réduit d’autant l’exiguïté de la cabine.
Tandis que nous nous élevions, j’ai senti qu’il me frôlait. Je me suis légèrement déplacé, pensant qu’il manquait d’espace, mais il est revenu à la charge de façon plus ostensible.
Je pouvais sentir son corps se plaquer volontairement contre le mien. J’étais troublé. Pour tout dire, totalement incrédule.
— Bonsoir, Maître, m’a-t-il dit.
J’ai répondu à son salut, de manière assez vague. Je trouvais parfaitement ridicule le titre qu’il me donnait. Je n’ai jamais beaucoup attaché d’importance aux distinctions honorifiques, dans lesquelles il m’a toujours semblé voir avant tout une flagornerie insupportable.
— Vous ne vous souvenez pas de moi ? Je suis le fils cadet du consul, a-t-il ajouté.
Cela n’évoquait que de très lointains souvenirs pour moi. Un bambin braillard, puis un adolescent discret. Il y avait des années que je ne l’avais pas vu dans les parages.
Comme s’il avait suivi le fil de ma pensée, il a ajouté qu’il était de retour après de nombreuses années d’études à l’étranger. Ses parents étaient absents et il "squattait" leur appartement, selon ses propres termes.
— Me permettez-vous de vous rendre visite, un soir prochain ? ajouta-t-il d’une voix murmurante qui était à elle seule une promesse de délices insoupçonnés.
Il était toujours collé à moi, dans mon dos. Je ne pouvais voir les traits de son visage, d’autant moins qu’il portait toujours son heaume. La seule chose que je remarquais, c’était une légère pointe d’accent que l’on ne pouvait distinguer que dans la façon particulière qu’il avait de prononcer les "o". C’était indéfinissable et n’avait rien à voir avec la manière toulousaine d’y mettre systématiquement un accent aigu qui confine au ridicule.
— Pourquoi ne passeriez-vous pas demain soir, par exemple ? ai-je répondu d’une voix mal assurée, alors que nous avions atteint mon étage et que je sortais de la cabine.

Il s’agit maintenant de s’attaquer au jean. Suis-je allé aussi loin pour soudain renoncer ?

Conduisez-vous en homme
Soyez l’homme… Agissez !


Comment ne pas être fouetté par ces paroles ? J’agrippe les deux bords de la ceinture et les tire vers moi d’un geste un peu brusque. Les derniers boutons se défont d’eux-mêmes et il ne me reste plus qu’à faire glisser le vêtement vers le bas. Le garçon se contorsionne juste ce qu’il faut pour que le jean lui tombe sur les chevilles. Dès lors, il n’a plus qu’à l’enjamber et l’expédier plus loin d’un coup de pied nonchalant.
Ni slip ni boxer, c’est un jock-strap blanc à ceinture large que je découvre. Je vois les deux lanières élastiques qui partent de part et d’autre de la ceinture pour épouser la courbe des fesses et relever un peu celle-ci avant de plonger entre les jambes pour se rejoindre sous l’extrémité de la coquille de coton que son excitation bombe dangereusement en même temps qu’elle la tache d’une petite pastille d’humidité…
Il tend les mains, se saisit des miennes qu’il guide à nouveau pour les plaquer sur ses fesses, initiant le mouvement de la caresse, puis il les fait remonter jusqu’à la large ceinture, passer sous elle en l’écartant légèrement afin que d’un mouvement, « avec délicatesse, en souplesse, et doigté » nous fassions ensemble choir ce cache-sexe sur ses chevilles.
Le voici entièrement nu.
Il tourne lentement sur lui-même d’une façon enfantine, bras légèrement écartés, tel un mannequin dans une vitrine, comme pour me laisser l’admirer mieux à mon aise.
Je remarque que ses jambes sont très poilues et contrastent en cela avec les bras qui donnent l’impression de n’être couverts que d’un duvet imperceptible. La pilosité des membres inférieurs est également plus sombre, ce qui accentue l’impression de sa plus forte densité. Le sexe est rasé de près ; sans doute cela marque-t-il la volonté d’une harmonie avec le torse pratiquement lisse précédemment décrit.
Je me sens totalement ridicule, tout habillé devant cette nudité triomphante !
Je suis en tenue d’intérieur, ce qui implique une certaine décontraction : une paire d’espadrilles en toile, un pantalon de costume gris anthracite, une chemise blanche à col amidonné, une cravate de soie bleu roi au nœud relâché, une veste en pure laine qui fut blanche et que le temps a un peu jauni. C’est ma veste d’intérieur fétiche, à laquelle je suis d’autant plus attaché que des décennies de lavages l’ont fait progressivement rétrécir en même temps que ma silhouette s’affinait et que mon corps se tassait ; un cadeau avunculaire qui remonte à mon adolescence, achetée sur le marché de Saint-Flour. Elle a la particularité d’être une veste de femme, ce que je n’avais pas vu au moment de l’achat mais que confirme le boutonnage inversé. Je me suis toujours demandé si ce n’était pas une sorte d’acte manqué, bien que je concède volontiers que c’est à l’occasion de ce cadeau que j’ai découvert que le boutonnage n’était pas le même sur les vêtements masculins et féminins. Une vieille tradition dont on perd un peu l’origine, puisqu’il existe au moins trois explications pour ce phénomène ! Pour les uns, cela tient au fait que les femmes d’un certain rang étaient habillées par leurs servantes et que pour faciliter le travail de celles-ci – qui faisaient face à leur maîtresse pendant l’opération – les couturières avaient imaginé de confectionner des vêtements boutonnant de droite à gauche. D’autres prétendent que les femmes du Moyen-Âge portaient leurs enfants au creux du bras gauche afin de garder libre leur main la plus agile et qu’il leur était ainsi plus facile de déboutonner leur chemise au moment d’allaiter. Enfin, une dernière théorie veut qu’à la même époque les hommes qui devaient être prêts à s’emparer de leur épée, plaçaient leur main droite sous le panneau gauche de leur manteau, pour éviter qu’elle ne soit gelée ou engourdie, et devaient par conséquent boutonner leur vêtement de gauche à droite.
Je laisse ainsi mon esprit vagabonder, dans l’indécision. En même temps, je ne perds rien du spectacle émouvant de ce jeune homme nu comme un ver et parfaitement à l’aise devant moi.

Soudain, Juliette Gréco fait claquer son ordre final…

Et vous… déshabillez-vous !

Je reste figé. Je ne me vois pas me déshabiller devant ce garçon à la beauté et à l’érection triomphales. Certes, ma propre érection à cet instant n’a rien à envier à la sienne, mais j’ai bien conscience de ce que ma peau a de distendu à de certains endroits, de ce que mes poils plus blancs que gris peuvent avoir de repoussant, à tout le moins d’inesthétique.
Pourquoi me suis-je prêté à ce jeu ? Qu’espérai-je au fond de moi ? Je ne suis pas stupide, je comprends bien que le temps des aventures et de la séduction est passé pour moi. Il m’arrive encore d’avoir de bonnes fortunes, mais c’est avec des hommes plus mûrs, des beautés moins parfaites…
Je ne me plains pas de mon sort, loin de là ! J’ai eu mon temps, j’ai été séduisant, j’ai fait tourner quelques têtes plutôt bien faites ; mais j’ai su passer la main quand le moment est venu, sans remords ni regrets.
Ce qui m’a plu dans cet intermède avec ce garçon, c’est l’idée du pied de nez que nous faisions ensemble à la morale de ses parents, à toute la prévention qu’ils avaient tenté de lui inculquer contre moi et qui, en creux, était une condamnation précoce de ce qu’il deviendrait lui-même sans qu’ils en aient conscience. Sans doute ai-je été flatté de cette invitation à la transgression, parce que je reste prompt à m’enflammer pour un beau minois ou de jolies courbes.
Il entrait aussi dans cet instant une part de narcissisme, l’impression de me tenir devant un miroir magique qui me renvoyait l’image de ma propre jeunesse, il y a si longtemps… Ce que m’offrait ce garçon, c’était un fantastique voyage dans le temps. J’ai aimé, moi aussi, à son âge – quoique davantage coincé – provoquer les hommes qui me plaisaient pour tenter une aventure ou simplement profiter d’un court instant de jouissance. J’ai su les aguicher, certes avec d’autres méthodes, pour les amener où je voulais ; c’est-à-dire le plus souvent à l’hôtel car la plupart ne recevaient pas chez eux.
Je regarde encore cette plastique parfaite, j’imagine le plaisir qui aurait été le mien, à une époque déjà lointaine, de le caresser, l’embrasser, le lécher, le posséder…
Cette nudité s’offre à moi comme une œuvre d’art, il y entre un érotisme torride qui n’a rien à voir avec les images sordidement pornographiques que l’on peut voir un peu partout sur Internet et qui remplacent les revues de ma jeunesse, que l’on ne trouvait qu’avec difficulté, dans des officines souvent louches.
C’est cette perfection même qui achève de me le rendre inaccessible.

Il fait un pas en avant ; celui qui nous séparait à peine. Sa main droite se porte sur mes lèvres, qu’elle effleure. Son sourire irradie, ce qui ne fait qu’ajouter à mon trouble.
Comment mettre fin à tout ceci sans briser le charme ?
— Maintenant, c’est à mon tour, dit-il. Vas remettre le disque…

Toulouse,
1er décembre 2013

dimanche 1 décembre 2013

L'amant marié 5/5

V

Sanglée dans son éternelle sortie-de-bain, Ulrike était assise sur le canapé de cuir du salon, Europe ronronnant sur ses genoux, tandis qu’elle lui caressait distraitement la tête.
C’était presque un matin comme tous les autres, les rituels n’ayant pas lieu d’être abolis. Du moins pas encore. Ceci aussi dépendrait de la décision qu’elle devait prendre, de ce qu’elle dirait à Jochen lorsqu’il reviendrait inévitablement sur son départ annoncé du domicile conjugal et les conséquences qu’il croyait pouvoir en tirer la concernant.
Elle avait eu une mauvaise nuit, faite d’un sommeil agité, ce qui ne lui arrivait pourtant jamais ! Elle était habituée depuis quelque temps aux nuits courtes, mais celles-ci étaient toujours paisibles et réparatrices.
La veille, après le départ de Jochen, elle avait plongé dans un abîme d’expectative d’où elle ne parvenait pas à remonter. Tout se mélangeait dans sa tête, des sentiments les plus radicaux aux plus confus.
Même s’il avait prétendu le contraire, elle ne pouvait s’empêcher de se sentir en partie responsable de la décision de son amant, et cela lui était fort désagréable.
Ils se retrouvaient très loin, soudain, de ce qui avait présidé au début de leur relation ; la simple envie de prendre du plaisir ensemble, sans complications. Ils ne s’étaient rien promis d’autre que du bon temps passé ensemble, une liaison sexuelle dans laquelle tous deux trouvaient leur compte. Il n’avait pas été question de sentiments au début, ceux-ci n’étaient venus que progressivement, sans pour autant impliquer une modification du projet de départ. Ulrike n’avait jamais envisagé Birgitt comme une rivale, ni que son mari pourrait s’en détacher au point de l’abandonner.
Cet abandon signifiait-il que Jochen envisageait de venir s’installer chez elle ? Or, de cela il ne pouvait être question. D’abord, l’appartement ne s’y prêtait pas, mais surtout elle ne le voulait pas. Elle plaçait sa propre autonomie au-dessus de toute autre considération. Cela ne voulait pas dire qu’elle n’aimait pas Jochen, mais elle ne voyait pas en quoi cet amour, aussi sincère fut-il, justifiait qu’elle aliène son confort patiemment construit autour d’une liberté totale.
Il fallait se rendre à l’évidence, elle n’avait choisi cet homme, n’avait poursuivi sa relation avec lui, que parce qu’il était marié, c’est-à-dire parce qu’il n’était pas libre et ne risquait pas d’envahir sa vie au-delà de l’espace qu’elle lui concédait. Mais pouvait-elle le lui expliquer de cette façon ? Ne risquait-elle pas de le perdre en agissant ainsi ? Cette dernière question la renvoyait à une autre réalité, qui était celle de la sincérité de l’amour qu’elle lui portait. C’était ce qui rendait les choses compliquées, car elle se trouvait soudain devant un choix cornélien auquel elle n’était pas préparée.
Depuis la veille, elle pesait tous les arguments qui se présentaient à elle, pour ou contre cette cohabitation, ce pas supplémentaire vers une relation de couple standardisée.
Elle vivait seule depuis trop longtemps pour ne pas considérer que l’arrivée de son amant serait une intrusion dans son univers, qui bousculerait trop radicalement ses habitudes. Partager ses sentiments et son corps ne posait aucun problème, en revanche ouvrir sa maison à l’autre, le laisser apporter ses affaires, envahir l’espace petit à petit avec ses objets et ses habitudes était loin d’être sans conséquences.
Accueillir Jochen à demeure, c’était envisager d’une manière ou d’une autre de rentrer dans le rang, de devoir tenir la maison, faire les courses, préparer les repas, s’occuper du ménage et du linge de l’autre… Son indépendance faisait qu’elle n’avait pas de programme précis ni d’horaires fixes, qu’un frigo vide ne la dérangeait pas et qu’au contraire elle aimait les repas improvisés à la dernière minute avec ce que les placards vidés recélaient de trésors oubliés.
Accueillir Jochen, c’était devoir prendre en compte ses goûts culinaires, ces préférences musicales, cinématographiques, télévisuelles. Ceci signifiait devoir abandonner une partie de ses propres goûts pour se mettre à son diapason en trouvant un compromis. Ce mot-là lui faisait peur, elle n’était pas persuadée d’être en âge de faire des compromis sur des habitudes ancrées en elle depuis toujours.
Si elle envisageait la situation de manière pragmatique, elle admettait qu’il pouvait y avoir aussi des avantages à cette cohabitation. Partager l’appartement, c’était également partager les frais et les charges qui s’y attachaient. Même si l’Allemagne affichait une certaine prospérité en Europe, elle savait bien tout ce que ce tableau idyllique cachait de faux-semblants et de précarité. Mais elle n’était pas vénale et la perspective d’une compensation financière, même bienvenue, ne lui paraissait pas le meilleur argument pour admettre cette cohabitation.
Le plus gros de son malaise venait de ce qu’elle se sentait au bord de craquer, de céder et de lui dire de venir s’installer là. Or, cette reddition ne lui était pas naturelle et elle savait la part d’ombre qui y entrait. C’est ce qu’elle refusait de tout son être. Ceci ressemblait trop à de l’apitoiement sur soi !
À l’approche de la cinquantaine, Ulrike entrevoyait que son pouvoir de séduction irait en diminuant et qu’elle risquait de se retrouver seule en refusant de se fixer. Seule, elle le serait indubitablement, n’ayant plus de famille proche, n’ayant jamais eu d’enfant. Lorsqu’elle envisageait la chose, elle ne pouvait que constater sa schizophrénie sur le sujet : toute sa vie elle avait recherché et milité pour cette solitude qui tout d’un coup lui apparaissait comme la pire des situations. Tout ceci n’avait pas de sens et générait en elle une angoisse qui la terrorisait.
La meilleure solution ne serait-elle pas que Jochen cherche un appartement, pourquoi pas à proximité, dans lequel il s’installe seul lui aussi ? Au plus profond, ce que souhaitait Ulrike était de ne rien changer à leur arrangement, de continuer à s’envoyer des messages matinaux et à se rencontrer quand leurs agendas le permettaient. Cela pourrait être plus souvent, puisque son amant n’aurait plus de vie familiale. Cette perspective lui souriait davantage qu’une vie à deux.

Elle en était là dans ses tergiversations, lorsqu’arriva le message de Jochen. Probablement le plus long qu’il lui eut écrit, comme s’il avait cherché à l’amadouer en essayant de la rejoindre sur le terrain des mots.
  • Bonjour mon amour.
  • J’espère que ta nuit a été bonne et que tu vas bien.
  • Je pense à toi et j’avoue que c’est une façon moins crue de dire que j’ai envie de toi. Bien sûr, cela ne se limite pas au sexe. Envie de toi, c’est aussi besoin de ta présence, que nos corps se frôlent, que leur chaleur se rejoignent tranquillement, chastement. Même si nous savons bien qu’à un moment nous irons vers autre chose qui n’est que le complément naturel de ce qui précède.
  • Je t’aime et te couvre de baisers à peine esquissés, comme une caresse affleurante dont on se demande si on ne l’a pas rêvée. Et non, tu n’auras pas rêvé puisque tu pourras encore sentir la tiédeur d’un souffle sur ta peau qui n’est pas un souvenir de la dernière rencontre, mais la promesse de la suivante…
  • Et si, moi, je n’ai pas rêvé non plus, alors nous ne serons plus jamais séparés, nous vivrons ensemble, heureux pour toujours.

S’il n’abordait pas de front la situation, le dernier paragraphe était sans ambiguïté, posant clairement la question à laquelle elle s’attendait et qui avait occupé son esprit toute la nuit.
Il avait brisé le rituel en envoyant ce message le premier, ne se contentant plus de répondre au sien. Il prenait l’initiative, cherchait à s’imposer. Si elle n’était pas directement formulée, il y avait bien là une injonction de sa part, qui mettait Ulrike au pied du mur, en demeure de lui répondre, c’est-à-dire d’accepter. C’était aussi habile que maladroit.
Ulrike jouait avec son smartphone, consciente qu’il fallait avancer, faire un pas dans un sens ou dans l’autre. Quelle que soit sa réponse, c’était un risque à prendre. Celui de se lancer dans l’inconnu d’une vie de couple, celui de perdre son amant en le décevant par un refus de donner plus que ce qu’ils s’étaient promis au départ. L’amour tout entier est une prise de risque, il n’y avait dans ce choix qu’un avatar supplémentaire dans l’histoire qu’ils vivaient depuis quatre ans.
Elle composa son message sans fébrilité, avec le calme qui caractérisait la femme de tête que tout le monde connaissait. Il était bref, allait droit à l’essentiel même s’il était aussi moins laconique que celui de la veille dans lequel elle lui disait « Viens ! ».
Quand il fut achevé, d’un pouce léger elle effleura la touche "envoyer". Il n’était plus temps pour le doute ou les remords, les dés étaient jetés. Ils étaient à un tournant de leur histoire…
 

Toulouse,
13 octobre — 26 novembre 2013

samedi 30 novembre 2013

L'amant marié 4/5

IV

Jochen avait attendu la fin de la journée avec une impatience croissante, électrisé par le laconisme de la réponse d’Ulrike à son message matinal. Un simple « viens », accompagné d’un point d’exclamation. Pas d’embrassades ni de caresses verbales, un mot qui pouvait aussi bien exprimer un ordre qu’une supplique et un signe de ponctuation qui semblait lui octroyer un caractère d’urgence.
Après l’interminable réunion de la matinée, il s’était abstenu de déjeuner afin d’avancer dans son travail pour quitter le bureau une heure plus tôt, expliquant à ses collègues qu’Andreas était souffrant et que sa mère avait un rendez-vous chez un spécialiste, qu’elle ne pouvait remettre. Demi-mensonge de confort ; son fils allait parfaitement bien, en revanche Birgitt devait voir un médecin et avait prévenu qu’elle rentrerait tard. Lui-même avait précisé qu’il devrait probablement assister à une réunion qui risquait de s’éterniser. Ceci lui laisserait le champ libre pour voir Ulrike.
Connaissant par cœur le cadencement de son train, il arrivait à optimiser son temps pour éviter les interminables attentes sur le quai, partant au bon moment pour ne pas avoir à presser le pas et toujours donner cette image de respectabilité un peu terne que tout le monde avait plus ou moins de lui. Même les quelques collègues féminines avec lesquelles il lui était arrivé de coucher par le passé eussent été les premières surprises de l’homme épanoui qu’il était devenu, à mille lieues de celui qui n’avait à leur proposer que de minables coucheries, rapides et sans passion.

Il avait gravi à pied tous les étages, délaissant l’ascenseur qu’il aurait fallu attendre. Un rien essoufflé, il avait pressé le bouton de la sonnette avec la fébrilité d’un adolescent à son premier rendez-vous.
Ulrike lui avait ouvert la porte presque aussitôt, vêtue de sa sortie-de-bain écrue.
— Je rentre à l’instant, dit-elle. J’ai juste eu le temps de passer sous la douche et j’allais me faire un thé. Tu en veux un ?
— Pourquoi pas, répondit-il et la caressant et lui piquant le cou de petits baisers sonores.
Elle se dégagea sans brusquerie et l’entraîna dans la cuisine où la bouilloire électrique chantait déjà. Elle prit un second mug dans le placard, lui demanda s’il prendrait du sucre, du citron ou du lait, puis déposa la boule métallique, remplie de son meilleur mélange au jasmin, dans l’eau bouillante.
Laissant le breuvage infuser, elle vint se plaquer à nouveau contre son amant, cherchant sa bouche tandis que ses mains prenaient possession de son corps, une devant, l’autre derrière. Elle sentit une érection déjà prometteuse et enregistra que sa respiration changeait de rythme.

Elle avait disposé le plateau sur la table basse du salon, entre eux. Il avait pris place dans un fauteuil où il s’enfonçait systématiquement, tandis qu’elle avait opté pour sa place de prédilection sur le canapé.
Europe avait sauté sur ses genoux, alors que Merkel était venue se frotter aux jambes de Jochen en ronronnant de façon excessivement sonore.
— Merkel, tu es impossible ! dit-elle. Dès qu’un ventre rebondi de banquier passe par ici, il faut qu’elle le drague…
Si Jochen était parfois piqué au vif par les allusions perfides que faisait sa maîtresse à son embonpoint, il appréciait en revanche l’ironie et la justesse avec laquelle elle avait su nommer ses chats. Merkel correspondait bien à son modèle humain, faussement pateline et vindicative chaque fois qu’elle voulait obtenir quelque chose, tandis que la siamoise, Europe, était plutôt languide, sans vrai tonus et davantage du genre à faire ses coups en douce, en quoi elle ressemblait tout à fait à l’institution ou au continent qui lui avait valu son nom.
Il se pencha pour caresser la chatte ronronnante, mais celle-ci s’écarta d’un air dédaigneux.
— Celle-ci, tu ne l’amadoueras pas avec quelques caresses, elle n’est pas comme sa maîtresse…
— Elle ne sait pas ce qu’elle perd ! plaisanta-t-il. L’important est que, toi, tu ne t’enfuies pas devant ma main, ou le reste.
— Aucun danger de ce côté, tu as dû t’en rendre compte.
Ils badinaient en buvant leur thé, retardant ainsi le moment de passer dans la chambre, ce qui était une manière pour eux d’augmenter le plaisir en le retardant juste ce qu’il fallait pour exacerber le désir de l’autre. Cela ne durait jamais très longtemps car chacun était prompt à céder, incapable de refréner ses pulsions au-delà de quelques minutes qui déjà lui semblaient interminables.
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Après le thé, ils étaient passés dans la chambre où leurs ébats avaient été plus déchaînés encore qu’habituellement.
Ulrike n’y avait d’abord pas prêté attention, mais progressivement elle avait senti que son partenaire se comportait de façon étrange. Il y avait dans ses gestes, dans son regard quelque chose de désespéré qui le faisait redoubler d’ardeur et le rendait touchant.
Il y avait longtemps qu’elle avait constaté la fragilité des hommes et à quel point celle-ci pouvait se dévoiler davantage dans l’acte sexuel. Pourtant, habituellement celle-ci n’apparaissait qu’au finale, et tenait plus alors d’une certaine tristesse et d’une envie de fuir le contact de l’autre. Combien n’en avait-elle pas connu de ces types qui bondissaient du lit à peine leur petite affaire expédiée et se rhabillaient en quatrième vitesse pour disparaître au plus vite !
Mais Jochen n’avait jamais été de ceux-là, il aimait prendre son temps en toute chose, se montant attentif au plaisir de sa partenaire autant qu’au sien propre. Il variait les préliminaires, évitait toute monotonie dans l’acte amoureux et surtout s’abandonnait contre elle de très longues minutes après l’assouvissement.
Il posait alors la tête sur le bras d’Ulrike, nez collé contre son sein et somnolait ainsi sans bouger. Elle sentait le souffle de sa respiration sur sa peau, qui allait jusqu’à lui chatouiller délicieusement le mamelon.
C’est au moment où elle s’y attendait le moins, alors qu’ils savouraient cet instant d’abandon total, qu’il murmura les quatre mots qui devaient tout changer entre eux. Elle n’avait rien senti venir et fut mise devant le fait accompli, sans pouvoir tenter la moindre diversion qui l’aurait empêché de parler.
— Je vais quitter Birgitt, lâcha-t-il.
Elle resta sans voix, croyant avoir mal compris, mesurant à peine ce que cela signifiait.
— Je vais quitter Birgitt, répéta-t-il.
— Mais pourquoi ? demanda-t-elle, sincèrement surprise par cette annonce.
Elle était d’autant plus déroutée qu’il n’y avait pas eu le moindre signe avant-coureur, la moindre conversation entre eux qui aurait pu laisser supposer qu’il s’apprêtait à faire une telle chose.
— Je t’aime, répondit-il, et je ne supporte plus tous ces jours, toutes ces heures, ces minutes perdues loin de toi.
— Mais…
Jochen lui avait mis doucement la main sur la bouche et la regardait profondément, comme s’il avait voulu percer à jour ses pensées les plus intimes avant qu’elle ne les dise ou ne trouve des arguments détournés.
— Non, ne dit rien. C’est ma décision, et elle est prise. Je n’y reviendrai pas.
Il lui souriait tendrement, comme il le faisait avec ses enfants lorsqu’il tentait de leur expliquer le bien-fondé d’un oukase qui les contrariait. Un sourire doux, désarmant, si éloigné de la sévérité cruelle de ses propos que l’on ne savait comment s’y opposer.
D’une certaine façon, Jochen était un charmeur, même s’il n’en avait pas conscience. C’était d’ailleurs ce qui le rendait si touchant, cette innocence, cette absence de calcul. Il n’était pas manipulateur, c’était d’une certaine façon bien pis que cela : il était intuitif ! Il savait d’instinct comment gérer les situations fâcheuses, retourner à son avantage celles dont il n’aurait pas dû sortir indemne.
Jochen avait épié le regard d’Ulrike, cherchant une lueur d’approbation, de joie ou d’excitation, mais il n’y avait vu qu’une profonde curiosité. Il fut déçu, contrarié par cette apparente passivité de sa maîtresse. Ce qui le déstabilisait profondément était de ne pas parvenir à démêler des sentiments qu’il sentait mitigés, pour ne pas dire peu enthousiastes.
— Ne dis rien, prends le temps de réfléchir, nous en reparlerons demain, poursuivit-il en libérant la bouche de sa compagne.
Il pivota sur lui-même afin de se retrouver au bord du lit, se leva et prit ses affaires sur la chaise. Sans même commencer à s’habiller, il se pencha à nouveau sur le lit pour déposer un baiser sur les yeux et le nez d’Ulrike en lui murmurant qu’il l’aimait, un peu, beaucoup, à la folie… Puis il passa dans le salon, où il enfila ses vêtements sans trop de hâte, rectifiant son nœud de cravate en se regardant dans le miroir pendu au-dessus d’une desserte ultramoderne qu’il affectionnait particulièrement.
Ulrike entendit la porte palière claquer derrière lui. Elle ferma les yeux, comme si cela avait été un moyen efficace d’échapper à une réalité qui la dépassait.

vendredi 29 novembre 2013

L'amant marié 3/5

III

Ce fut une fin d’après-midi torride, comme Jochen n’en avait encore jamais connu. Il fut subjugué par les initiatives d’Ulrike, le naturel avec lequel elle passait de l’abandon le plus total à une reprise en main de la situation qui rendait inutile la moindre protestation. Ne menait-elle pas le jeu jusque dans sa propre passivité ; l’obligeant à trouver les réponses aux attentes qu’elle n’exprimait pas, en sentant intuitivement que la moindre erreur serait fatale au charme qui les unissait depuis le moment où ils avaient franchi la porte de l’appartement et où elle s’était jetée sur lui sans retenue.
Le temps fut aboli autant que le monde qui les entourait et continuait de tourner à son rythme. Jochen n’entendit pas les appels de Birgitt, inquiète de ne pas le voir rentrer et de rester sans nouvelles, puis carrément furieuse. Il lui fallut inventer une réunion de dernière minute, doublée d’une panne de réseau téléphonique, pour justifier de ce silence et de ce retard.
La séance les avait laissés exténués l’un et l’autre, et la douche qu’il prit ensuite ne parvint qu’à accentuer la torpeur qui le gagnait. Seul le retour à pied jusque chez lui parvint à le ramener petit à petit à sa réalité quotidienne.
Avant de se quitter, ils avaient échangé leurs numéros de téléphone portable respectifs sans grande conviction. Ulrike ayant remarqué l’alliance au doigt de Jochen, savait d’expérience que les hommes mariés sont toujours une source d’ennuis divers. Ceci était une vision pragmatique dans laquelle n’entrait aucune espèce de morale. Les relations adultères ne la gênaient en rien, elle pensait que seuls ceux qui étaient déjà disponibles pour de telles aventures étaient susceptibles d’y succomber, ce qui excluait toute responsabilité exclusive de l’autre. Elle, en l’occurrence.

Jochen laissa passer quarante-huit heures avant d’appeler. Deux longs jours au cours desquels il eut l’impression de perdre pied, ne parvenant pas à fixer son attention au bureau et se montrant d’une distraction à la limite de la désinvolture dans le cercle familial. Birgitt mit fort heureusement cette attitude sur le compte d’un probable surmenage ; n’avait-il pas dû participer à une réunion tardive le samedi précédent alors même qu’il n’était censé travailler que le temps de représenter l’administration à une quelconque manifestation pour laquelle sa division était intervenue ?
En quelques heures, Ulrike était devenue une obsession. Il ne pouvait se retirer de l’esprit les images trop nettes de leurs ébats dans tout l’appartement. Elle avait commencé par le plaquer contre la porte, tout en fermant le verrou, puis s’était déchaînée, lui révélant des plaisirs jusqu’alors inexpérimentés.
Il était troublé par l’énergie de cette femme, par la façon dont elle s’était laissée aller sans retenue avec un parfait inconnu, ce qui impliquait une sensualité et une sexualité débordantes. C’était la première fois qu’il tombait sur une telle femme, qui bouleversait ses habitudes et ses préjugés. Malgré les coups de canif constants qu’il avait donné à son mariage, Jochen était pétri de morale et corseté d’inhibitions. Il avait une image idéalisée de la Femme qui ne cadrait pas avec Ulrike. Sans doute ce décalage accentuait-il son attirance pour elle, devenant la promesse de découverte de nouveaux horizons. Il avait en lui l’intuition que l’un et l’autre pourraient gagner mutuellement à poursuivre ces jeux et surtout que lui pourrait faire de nouvelles découvertes sur la palette des plaisirs qu’elle semblait manier avec ferveur et talent.
Dans son esprit, il était moins question d’entamer une liaison régulière que de s’accorder, de loin en loin, des rencontres éruptives comme l’avait été la première.
Après deux jours interminables de cogitations, il avait laissé un message sur le répondeur d’Ulrike. Comme il n’aimait guère parler à des machines, il s’était montré gauche et plat, ce qui l’avait fait se persuader qu’il venait de gâcher toute chance de la revoir un jour.

À la vérité, Ulrike avait été séduite par la fragilité qu’elle avait décelée dans la gaucherie du message de Jochen. Elle avait été surprise qu’il la rappelle, car elle avait une conscience exacte de s’être comportée avec lui comme une petite peste au Lustgarten et pensait qu’une fois retombée la testostérone, il se souviendrait plutôt de ce moment désagréable qu’elle lui avait infligé, que des échanges plus débridés qui l’avaient suivi. Les hommes n’ont-ils pas généralement un rapport ambigu avec l’acte sexuel ? Ils en parlent plus qu’ils ne le pratiquent et sont souvent désorientés après l’avoir fait…
Elle avait choisi de lui répondre par SMS, d’une façon assez impersonnelle qui puisse passer pour un message anodin si jamais il était tombé sous des yeux indiscrets. « Je serais enchantée de poursuivre notre échange si intéressant de l’autre jour. N’hésitez pas à me proposer un rendez-vous… » avait elle écrit en signant de manière très professionnelle, avec référence au journal pour lequel elle travaillait.
Par la suite, en dehors des visites de Jochen, leurs contacts devinrent presque exclusivement écrits afin d’être plus discrets. Il est plus difficile d’intercepter par hasard un SMS qu’une conversation téléphonique.
Ils avaient décidé de prendre du bon temps ensemble, sans rien se promettre, sans même chercher à inclure dans cette relation une quelconque portée sentimentale. Ils se voyaient de loin en loin, pour un échange de plaisirs charnels qu’ils avaient le plus grand mal à définir. Il n’était pas question de parler de « faire l’amour » dans la mesure où il n’était pas question d’amour et employer le terme « baiser » serait revenu à donner une dimension vulgaire à des ébats qui ne l’étaient pas. C’était autre chose, qui se situait probablement entre les deux, mais pour quoi il n’existait aucun mot adéquat.
Tout avait fonctionné ainsi les deux premières années et puis, au lieu de s’émousser, leur désir avait évolué vers une relation plus intime. Ils avaient appris à se connaître et s’apprécier au-delà de la gymnastique corporelle qui les réunissait depuis le premier jour. Une estime mutuelle s’était installée, qui s’était muée progressivement en amour véritable.
Ulrike s’était inquiété de la tournure que prenaient les événements. Jochen lui avait fait de plus en plus de grandes déclarations auxquelles elle n’avait d’abord pas voulu répondre, mais il lui avait bien fallu s’avouer à elle-même – avant de le reconnaître devant lui – que ces sentiments étaient entièrement partagés. Tout en rendant les armes, elle lui avait alors proposé d’arrêter de se voir avant que cela puisse poser des problèmes dans l’équilibre qu’il avait trouvé au sein de sa famille. Elle était prête à ce sacrifice, avait-elle dit. En quoi elle n’était pas tout à fait honnête, car elle eût dû préciser que cette solution aurait été un soulagement pour elle, qui ne voulait pas s’engager dans une aventure durable.
Depuis lors, leur couple fonctionnait ainsi. Ils s’aimaient, se l’écrivaient chaque jour, se voyaient une ou deux fois par semaine pour faire l’amour, plus rarement il leur arrivait de dîner ensemble avant de passer la première partie de la nuit dans le lit d’Ulrike. Jamais la nuit entière, car Jochen ne pouvait justifier d’un déplacement professionnel qui aurait impliqué une nuit en dehors de chez lui.
Ulrike, dont le métier impliquait une certaine aisance à manier les mots, truffait ses messages d’allusions salaces non seulement pour entretenir la flamme de son partenaire, mais également pour couper la monotonie et la vacuité d’échanges quotidiens qui auraient tout aussi bien pu se limiter à faire sonner le téléphone de l’autre et raccrocher, simplement pour signaler que l’on pensait à lui. L’essentiel n’était-il pas là et tout le reste fioritures ?
Jochen appréciait la manière qu’avait Ulrike d’exprimer ses phantasmes sans vergogne. Elle avait mis longtemps à se lâcher, l’avait fait d’abord timidement pour voir sa réaction, puis lorsqu’elle avait compris que cela était loin de l’effaroucher mais au contraire le stimulait, elle avait abandonné toute retenue, n’hésitant pas à se lancer dans des descriptions dont elle ne démêlait plus très bien la part de sensualité et d’obscénité.
Elle savait qu’il ne pouvait pas garder ces messages sur son téléphone, mais il lui avait avoué en apprendre des passages par cœur et se les réciter lorsqu’il était seul et pensait à elle en attendant le moment de la retrouver. Il les lui récitait parfois lorsqu’ils étaient somnolents, allongés côte à côte sur le lit, après ou entre leurs galipettes.
Il aimait particulièrement ceux où elle parlait de fellation, cherchant à chaque fois une formulation suggestive différente comme si elle avait cherché, d’un message à l’autre, à approcher au plus près de l’expression de ce qu’elle ressentait :
  • En attendant de pouvoir le faire réellement, je caresse tout ton corps du bout de mes doigts, de ma langue et de ma bouche. Après quoi, je le picore de petits baisers coquins et fougueux, puis je te mange la bouche, nos langues luttant voluptueusement. Alors seulement, je m’empare de ton membre dressé et m’active à le faire fondre dans ma bouche !

  • Je me convulse comme une damnée en pensant à ton corps, tes mains, ta langue, tes fesses, ta queue fièrement dressée et frétillante sous ma langue qui ne tarde pas à devenir blanche et tiède de ta jouissance miraculeuse !

  • Je me jette virtuellement sur toi pour te dévorer crûment de baisers et caresses cannibales. J’aime trop le goût de ta peau et celui de la sauce qui l’accompagne.

  • Je me mets à genoux pour adorer ton dieu frétillant et recevoir sa bénédiction sur ma langue…

Il     arrivait également qu’elle se fasse plus lyrique, ce qui laissait entrevoir un moment de désarroi, un manque réel. Il recevait ces messages-là avec un plaisir particulier, sentant instinctivement que leur rareté en faisait le prix. Ulrike évitait en général de livrer le fond de sa pensée, réservant à cela la pudeur dont elle était dénuée pour les choses du sexe.
  • Je pense à nos retrouvailles, que j’imagine torrides et passionnées. Tu me masseras le dos, qui en a bien besoin après cette journée harassante, les fesses qui y seront très sensibles, puis tu prépareras le passage de la même huile avant de te glisser en moi avec une fougue identique à celle de la dernière fois… Tout ceci n’excluant ni les préliminaires ni toutes suites que tu voudras y ajouter !!!
  • Pour l’heure, je couvre tout ton corps de mes caresses les plus entreprenantes et de mes baisers les plus fusionnels, ceux dans lesquels les langues se mélangent si intimement qu’on ne sait plus à qui elles appartiennent, au point de ne plus oser les reprendre…

Une nuit d’insomnie, elle n’avait pas résisté à la tentation d’un message anticipé sur l’horaire habituel, espérant que son téléphone serait éteint pour ne pas troubler son sommeil ou celui de sa femme. Il avait oublié depuis les mots du désir mais conservait comme un trésor ceux d’une tendresse qui était en même temps une ouverture sans pareille.
  • Je t’imagine encore endormi, alors je glisse ce message entre les plis de tes rêves et de tes draps, pour te dire que je pense à toi et t’aime très fort.
  • Je baise doucement ton front, tes paupières closes, ta bouche entrouverte.

Et puis il y avait eu ce qui était probablement la plus grande déclaration qu’elle ne lui ait jamais faite. Cela s’était produit quelques semaines plus tôt, alors qu’elle était allée à Stuttgart pour couvrir une exposition qui faisait polémique dans tout le pays, consacrée à la fraction armée rouge.
  • J’ai hâte de m’offrir à toi sans retenue comme avant mon départ. Tu es si beau lorsque tu me fais l’amour que je voudrais te prendre en photo pour m’assurer que je ne rêve pas lorsque j’y repense ! J’aime aussi t’entendre gémir de plaisir et d’excitation… Il serait plus simple d’avouer ce que je n’aime pas chez toi et qui tient en un mot : RIEN.

jeudi 28 novembre 2013

L'amant marié 2/5

II 

C’était une rencontre fort improbable que la leur. Pourtant elle avait bien eu lieu ; preuve s’il en était besoin que le hasard ou la nécessité font toujours les choses à leur guise. En bien ou mal, là n’est pas la question.
Cela s’était produit quatre ans plus tôt, au Lustgarten. Ce jour-là, le 17 octobre 2009, voyait la réouverture du Neues Museum, dix ans après que l’île aux Musées eut été classée au patrimoine mondial de l’humanité.
Tous deux avaient été conviés à fêter cet événement. Elle, en tant que journaliste en charge des pages culturelles d’un grand quotidien national ; lui, en tant que représentant d’un des nombreux organismes institutionnels sollicités pour le financement de l’opération.
Après la visite organisée du nouveau musée et une longue flânerie dans les salles présentant les trésors archéologiques d’Europe, d’Égypte et du Proche-Orient, ils s’étaient retrouvés au pied de la vasque de granit de Christian Gottlieb Cantian, face à l’Altes Museum dont la longue rénovation ne débuterait pas avant 2012 pour un budget initial évalué à 128 millions d’euros.
— Cet ensemble sera magnifique, une fois achevé, dit Ulrike en réfléchissant à voix haute.
— Effectivement, mais tout à fait hors de prix ! ne put s’empêcher de répliquer Jochen.
Offusquée, la journaliste le toisa non sans un certain mépris.
— Je vous demande pardon ?
— Je disais que tout ceci serait grandiose, y compris dans son aspect financier.
— Je ne suis pas persuadée que l’on puisse valablement mettre en balance quelques millions d’euros et le patrimoine culturel que représente ce projet d’ensemble, dit-elle sèchement avant de tourner la tête dans une autre direction, d’un geste agacé et emphatique.
Jochen détailla alors cette inconnue aux idées bien arrêtées et fut totalement séduit.
Ce qui frappait au premier abord chez cette femme, c’était une impression d’ensemble que l’on avait envie de définir comme "désuète". Le mot qui lui vint à l’esprit fut "vintage", car il voulait y voir une promesse de bonification. Cela tenait à une multitude de détails allant d’une montre minuscule attachée au poignet gauche par un étroit bracelet de cuir blanc, à un collier de grosses perles de bois sombre, en passant par une jupe noire de coupe droite et stricte descendant en dessous du genou, sans oublier une blouse ivoire au large col rabattu sur les épaules qui devait venir tout droit d’un stock oublié des années soixante-dix. Pour couronner le tout, il y avait ces cheveux bruns, ramenés en une sorte de chignon sur le haut de la tête, qui semblaient la coiffer d’un casque d’où s’échappait une mèche indisciplinée sur le front.
Elle était grande, possédait des épaules carrées qui lui firent penser aux nageuses de l’ancienne Allemagne de l’Est, et devait avoir dans la quarantaine, bien qu’il fut difficile de lui donner un âge avec précision tant son visage rond et poupin avait quelque chose de boudeur dans les lèvres charnues qui donnait une impression enfantine par ailleurs vite démentie par la fermeté catégorique de ses affirmations.
En observant ses mains, Jochen remarqua immédiatement l’absence d’alliance ou même de trace plus claire sur la peau de l’annulaire gauche qui aurait pu révéler qu’il avait pu y en avoir une dernièrement. Les ongles étaient entretenus mais exempts de tout verni, à moins qu’elle en ait utilisé un parfaitement incolore et l’ait appliqué avec un soin particulier qui ne montrait aucune trace de pinceau.
— D’ici quelques années, quand le projet d’ensemble aura atteint son stade final, vous verrez que ce sera grandiose. Le monde entier nous enviera cet endroit, poursuivit-elle comme si elle ne s’était pas aperçue que l’attention de son voisin s’était portée sur elle plus que sur le devenir des musées environnants.
Elle se lança avec enthousiasme dans une description de ce que serait ce lieu unique après l’achèvement des travaux. L’ouvrage engagé était gigantesque, il avait déjà vu la réouverture de Alte Nationalgalerie huit ans plus tôt, puis celle du Bode Museum en 2006, maintenant c’était au tour du Neues Museum et de l’engagement des travaux de la "James Simon Gallery" qui dès 2012 – au moment où commenceraient les travaux de l’Altes Museum – permettrait de libérer les monuments historiques de leurs boutiques, restaurants et salles de conférences tout en accueillant des expositions temporaires au premier étage, mais surtout servirait d’accès à la "Promenade archéologique" qui traverserait quatre des cinq musées de l’île, exposant de prestigieuses collections archéologiques. Enfin, la réouverture du Pergamon Museum parachèverait l’ensemble en 2015. Certes, tout ceci représentait des sommes colossales, mais qui n’avaient rien à voir avec un quelconque gaspillage.
Jochen écoutait son interlocutrice avec attention. Sa voix était chaude et montait légèrement dans les aigus dès qu’elle sentait que l’on eut pu mettre en doute ses affirmations. Cette passion l’attirait, il se demandait si elle la réservait à l’art seul ou la mettait en toutes choses et particulièrement dans l’acte sexuel. Se pouvait-il réellement qu’un tel tempérament de feu faiblisse et s’éteigne au moment de gagner la chambre ? Il se prit à rêver d’une prolongation plus intime à cette rencontre.
Quand elle eut terminé, Jochen avoua qu’il s’était toujours senti plus à l’aise devant un tableau financier qu’une toile de maître. Mais se rattrapa en parlant avec intelligence du choc qu’il avait ressenti quelques semaines plus tôt devant La Lutte de Jacob et de l’Ange de Rembrandt, qu’il avait pu admirer à la Gemälde-galerie.
— Il y a quelque chose de fascinant et de profondément dérangeant dans cette œuvre, avoua-t-il. Je suis loin d’être expert ou même simplement esthète, pourtant il me semble qu’il y a dans ce tableau religieux un homoérotisme profond, qui lui donne une dimension profane, si ce n’est blasphématoire. L’ensemble est assez sombre et toute la lumière rayonne du centre, concentrée sur la tunique immaculée de l’ange qui semble étreindre Jacob plutôt que de véritablement lutter avec lui. D’ailleurs, de quelle lutte s’agit-il ? La Genèse elle-même n’est pas claire sur le sujet, pas davantage qu’elle ne l’est sur ce "quelqu’un" que Jacob lui-même annonce être Dieu… Il y a la main droite sur le cou, soutenant la tête, la main gauche sur la hanche tandis que tout le corps de Jacob bascule sur la cuisse droite. Bien sûr, on sait que la hanche a cédé dans la lutte, que c’est le moment où l’ange le bénit, mais il y a une telle féminité dans la figure de l’ange – qui est censé ne pas avoir de sexe, après tout –, que l’on se demande ce que ces deux personnages font exactement. C’est très troublant et magnifique à la fois, ne trouvez-vous pas ?
— On peut en effet constater une allure très féminine de l’ange, d’une façon générale, dans les représentations de cet épisode faites du XVe au XVIIe siècle, tandis que Jacob a l’apparence d’un vieillard ou au moins d’un homme dans la force de l’âge. Le sentiment érotique de la scène se renforce au XIXe, avec des personnages jeunes aux corps d’athlètes ; l’ange devient alors un éphèbe et Jacob un homme dans toute sa virilité. Le corps à corps est à la fois plus nerveux et plus sensuel. Quand au XVIIIe siècle, il a préféré bouder les sujets religieux et n’a laissé aucun témoignage marquant de cette lutte, précisa Ulrike, sensible à cette tentative de rachat qui semblait sincère.
Elle crédita l’inconnu de son plus beau sourire, ce qui n’était qu’une manière élégante, pensait-elle, de prendre congé. Peut-être y eut-il méprise sur ses intentions car ce fut à cet instant qu’il se jeta à l’eau.
— Puis-je vous proposer de poursuivre cette conversation devant un café ou un thé ?
Ulrike apprécia l’obstination du dragueur, en même temps qu’elle eut envie de s’amuser un peu avec lui comme ses chats le faisaient joyeusement avec une paire de chaussettes roulées en boule. Un café n’engageait à rien, après tout.
Ils traversèrent la pelouse jusqu’à l’Einstein Coffeeshop du Berliner Dom, où ils s’installèrent pour deviser tranquillement devant deux gobelets de café fumant.
— Vous semblez beaucoup aimer cette île, observa Jochen.
— Oui, en effet. J’ai la chance d’avoir des fenêtres dont la vue donne sur le dôme du Bode-Museum où je me rends d’ailleurs assez souvent pour rêver devant les sculptures et tous les trésors de l’art byzantin. En revanche, le Cabinet des médailles m’intéresse beaucoup moins.
Jochen avait conscience de devoir trouver un sujet de conversation dans lequel il serait plus à l’aise. Il ne pouvait continuer ainsi à s’essouffler derrière l’érudition passionnée et un peu pédante de cette femme qui l’attirait de plus en plus. Comment un ignare vient-il à bout d’une citadelle de culture ? se demandait-il.
Tandis qu’elle parlait, Ulrike avait pris le temps d’observer l’homme à la dérobée. Il était un peu plus âgé qu’elle, se laissait gagner par un embonpoint qui lui seyait tout à fait, donnant à sa silhouette quelque chose de rassurant. Elle préférait les rondeurs aux angles saillants, celles-ci étaient plus confortables dans les corps à corps, aussi se prit-elle à rêver d’une fin d’après-midi câline et décida-t-elle de prendre les choses en mains.
— Si nous allions poursuivre cette conversation chez moi ? proposa-t-elle. Le café y est meilleur et je vous montrerai cette fameuse vue de carte postale : la pointe de l’île fendant la Spree telle la proue d’un navire…
Jochen ne sut retenir le sourire fat de l’homme habitué à obtenir ce qu’il veut. Cela fouetta le désir d’Ulrike. Les machos ne lui déplaisaient pas ; s’ils étaient à la hauteur elle adorait se soumettre, s’ils n’y étaient pas elle prenait un plaisir intense à les briser.

mercredi 27 novembre 2013

L'amant marié 1/5

I
 
Sanglée dans son épaisse sortie-de-bain en éponge écrue, Ulrike était assise sur le canapé de cuir du salon. Sur ses genoux, la chatte siamoise ronronnait tandis qu’elle lui grattouillait tendrement la tête.
Il était assez tôt, ce matin-là, mais cela faisait quelques jours que ses nuits s’écourtaient rapidement. Un cercle vicieux : une nuit incomplète entraînait une fatigue qui la faisait se coucher tôt, d’où un réveil anticipé qui entraînait à son tour un désir d’aller au lit de bonne heure…
C’était l’automne, le froid commençait à faire son apparition, Berlin frissonnait et elle plus encore. Une envie d’hiberner comme une vieille ourse la gagnait, ce qui était un comble au regard de ses insomnies grandissantes.
Europe ronronnait de plaisir tandis que, de l’index, elle lui caressait le sommet du crâne et descendait jusqu’au bout du nez.
C’était un matin comme tous les autres. Elle avait pris son petit-déjeuner et s’était installée sur le canapé, le temps de faire un câlin à ses chats tout en regardant à la télévision une chaîne d’informations en continu. Plus tard, elle passerait sous la douche, le jet d’eau froide fouetterait en même temps sa peau et ses sens, finissant de la tirer de la vague torpeur qui l’enveloppait encore. Ensuite, elle s’habillerait et gagnerait son bureau où se déroulerait une nouvelle journée de travail dans la monotonie d’un quotidien répétitif et sans possibilité de la moindre aspérité. C’est du moins ainsi qu’elle se représentait les choses, d’une façon totalement injuste au regard du métier qu’elle exerçait avec passion et qui ne lui laissait pas si souvent le loisir de rester plantée derrière son bureau.
Il est possible que ce soit le sentiment de nullité de ce train-train qui ait poussé Ulrike à chercher ailleurs un frisson propre à électriser à nouveau une vie en passe de se banaliser à l’extrême, au point de perdre tout sens ou tout intérêt.
À quarante-cinq ans, elle vivait seule avec ses chats. Ceux qui lui appartenaient officiellement et ceux qui, hantant les toits du quartier, ne dédaignaient pas venir se restaurer ou s’abreuver sur sa terrasse. Dans les moments de déprime, elle trouvait cela pathétique et éprouvait un malaise physique devant ce constat d’une vie sinon ratée, du moins sans grand intérêt. Fort heureusement, ces aigreurs d’âmes ne duraient jamais bien longtemps car son optimisme prenait le dessus. Un optimisme loin d’être naturel, pour tout dire plutôt récent, auquel s’attachait un prénom masculin…
Ulrike n’était pas à proprement parler amoureuse. Elle n’était pas certaine de savoir ce qu’était l’amour ni de l’avoir croisé un jour. Elle avait eu des aventures plus ou moins longues et intenses, cependant ce n’était pas une grande sentimentale. Elle préférait voir dans le rapprochement de deux êtres un appareillage dans lequel se mêlaient des intérêts divers, souvent sexuels, parfois pécuniaires.
Ulrike avait vu beaucoup de ses amies succomber aux sirènes de l’amour, avec plus ou moins de bonheur. Elle aurait juré que chacune d’elles avait avant tout couru pour fuir une possible solitude plutôt que pour réellement trouver une personne idéale avec laquelle rompre celle-ci. Or, Ulrike n’avait rien contre la solitude, bien au contraire. Il s’agissait pour elle d’un gage d’indépendance, la garantie d’une grande liberté qu’elle ne se sentait ni l’envie ni le courage d’abdiquer. Ses chats étaient déjà une sorte d’avant-goût du fardeau que serait de partager son territoire et sa vie avec un homme, cela lui suffisait amplement.
Europe en avait assez des câlins de sa maîtresse, elle s’étira longuement, se redressa sur les genoux de celle-ci et fit un bond pour gagner l’autre extrémité du canapé où elle se roula en boule sur son coussin préféré.
Il arrivait qu’Ulrike se sente flouée de devoir suspendre ainsi brutalement les caresses qu’elle prodiguait, pourtant elle sentait bien le parallèle qui pouvait exister entre l’indépendance de ses chats et la sienne propre. Combien d’hommes ne lui avaient-ils pas reproché cette distance presque dédaigneuse qu’elle parvenait à maintenir avec eux ? Aussi, Avec Jochen pensait-elle avoir trouvé la solution : elle le laissait imaginer que c’était lui qui dictait les règles et le rythme de leurs rencontres, qui imposait cette distance entre eux, dans l’espace et le temps. S’il avait soupçonné, ne serait-ce qu’un instant, qu’il était sa dupe, sans doute l’aurait-il très mal pris. Prendre un homme marié pour amant, c’était la certitude qu’il ne chercherait pas à s’incruster en même temps que le meilleur moyen d’éviter les reproches habituels sur votre manque de disponibilité. Plus besoin d’inventer des excuses pour refuser un rendez-vous, désormais c’était l’autre femme qui – sans même le savoir – régulait les rencontres du second couple de son mari. « L’emmerdeuse, ce n’est plus moi ! » aimait à répéter Ulrike, convaincue qu’il y avait là une vérité qui jouait nécessairement en sa faveur.
Europe ayant laissé place libre, c’était maintenant à l’autre minette de la maison de faire son apparition. Une chatte roux clair, un peu hirsute. Elle vint se frotter contre les jambes de sa maîtresse avant de s’éloigner vers l’extrémité du canapé où se trouvait Europe. Elle se dressa sur les pattes postérieures et commença à miauler rageusement contre la belle endormie.
— Ça suffit Merkel, laisse Europe en paix ! gronda Ulrike.
Elle avait trouvé plaisant de donner à cette chatte irascible, qu’il valait mieux caresser dans le sens du poil, le nom de la chancelière qu’elle ne portait pas dans son cœur. Le fait que cette dernière veuille en permanence régenter les faits et gestes d’Europe montrait que le nom qu’on lui avait attribué n’était pas si mal choisi que cela.
À contrecœur, Merkel sauta à son tour sur les genoux de sa maîtresse pour le câlin matinal. Celui-ci serait très court car l’animal était vite agacé d’être ainsi honteusement ébouriffé par des doigts distraits et un geste machinalement affectueux.
Ulrike regarda l’heure à la pendulette posée à côté du téléviseur. Celle-ci indiquait huit heures. La voie était libre…
Elle prit son smartphone qui traînait sur la table basse, à portée de sa main, bougeant à peine afin d’essayer de ne pas déranger la chatte rousse qui n’attendait que cela pour se carapater à nouveau à l’autre bout de l’appartement.
Jochen quittait le foyer conjugal chaque matin à sept heures quarante-cinq pour gagner son bureau. Elle lui laissait un quart d’heure de battement par sécurité, après quoi il était convenu qu’elle lui envoie un SMS, auquel il répondrait aussitôt. C’était leur rendez-vous quotidien. Souvent le seul de la journée, à moins qu’une opportunité se présente pour qu’ils puissent se voir à l’heure du déjeuner, euphémisme indiquant qu’ils se passeraient du repas et se consacreraient à des exercices plus physiques.
Dans les premiers temps de leur histoire, ces SMS étaient bien anodins, Ulrike pesant chaque mot avant de l’écrire pour être certaine qu’il n’y aurait pas de confusion sur le sens de ses propos. D’équivoque, il n’en était plus question désormais, car ses textes étaient beaucoup plus débridés, érotiques à la limite de la pornographie.
Suivant les jours et l’inspiration, elle composait son message lettre après lettre, veillant à l’accentuation et à la ponctuation comme si elle écrivait une lettre, ou bien elle dictait à l’appareil qui transcrivait plus ou moins fidèlement ses propos, l’obligeant alors à tout relire avec application pour veiller à ce que sa pensée ne soit pas déformée.
Elle s’astreignait à faire preuve d’imagination chaque matin, afin de briser la monotonie d’un exercice trop régulier. Parfois elle parvenait à se surprendre elle-même par la crudité de son propos ; il lui arrivait alors de se demander si une femme de son âge pouvait et devait écrire de telles choses à un homme ou à quiconque.
L’inspiration étant au rendez-vous ce matin-là, elle écrivit d’une traite quelques lignes osées qui mettraient certainement leur destinataire dans les meilleures conditions pour un rendez-vous rapide :
  • Bonjour mon amour.
  • J’espère que ta journée d’hier et ta nuit ont été bonnes.
  • Je traîne sur le canapé du salon en pensant à toi. Je suis en train d’imaginer tes mains, ta langue et ton sexe me caressant la peau, ta bouche mangeant la mienne, ta queue forçant mes lèvres avant d’aller tester un passage plus étroit qui ne demande qu’à s’ouvrir pour elle… Ces images sont si précises que je sens déjà des démangeaisons me venir dans les doigts !
  • Je t’aime très fort et te couvre de milliards de baisers torrides et de caresses enveloppantes.

Une fois le message envoyé, elle se dirigea vers la salle de bain sans attendre la réponse. Quelle que puisse être son impatience, elle savait le plaisir qu’elle pouvait tirer à retarder le moment de découvrir la réaction de son amant.

 

Jochen portait sa cinquantaine avec élégance, dissimulant un début d’embonpoint sous des vestes amples qu’il évitait de boutonner.
Il venait de quitter son appartement et remontait à pieds Georgenstraß en direction de la gare de Friedrichstraß où il prendrait son train.
Il espérait que le SMS d’Ulrike l’atteindrait avant de monter dans la rame car, alors, il lui faudrait attendre l’arrivée pour pouvoir en prendre connaissance. Les messages de sa maîtresse étaient de plus en plus exubérants et il ne tenait pas à ce que quelqu’un puisse les lire par-dessus son épaule, de même qu’il se méfiait des manifestations physiques intempestives que ceux-ci produisaient immanquablement sur lui.
Au début de leur liaison, leurs messages respectifs étaient hésitants, tâtonnants, chacun redoutant de donner à l’autre la sensation d’un attachement trop fort, d’aller trop vite dans une histoire qui n’en était pas vraiment une. Se jouaient-ils la comédie à ce moment-là ou s’étaient-ils piqués au jeu progressivement ? Le fait était que dorénavant Jochen attendait chaque matin, avec une impatience grandissante, le signal sonore de son portable signalant l’arrivée du SMS et que sa journée était mal engagée si celui-ci tardait ou ne venait pas, ce qui était tout à fait exceptionnel et ne pouvait qu’annoncer un problème grave.
Par mesure de sécurité, il effaçait les messages d’Ulrike chaque soir avant de regagner le domicile conjugal. Il les avait lus et relus à divers moments de la journée, apprenant par cœur les passages les plus chauds qui lui fouettaient les sens en lui rappelant les moments analogues vécus ensemble qu’ils décrivaient sans la moindre fausse pudeur.
Ulrike était pourtant une petite-bourgeoise bien élevée et d’un naturel plutôt réservé dans la vie courante, mais elle s’enflammait rapidement dès qu’il était question d’une certaine promiscuité sexuelle. Elle aimait faire l’amour et provoquer son amant avant leurs rencontres afin qu’il fût chauffé à blanc le moment venu.
Jochen n’avait jamais connu une telle femme. Avec elle, rien n’était jamais compliqué, de même qu’elle ne s’offusquait d’aucune demande ou proposition ; autant dire qu’elle était en cela à l’exact opposé de Birgitt. Mais Birgitt n’avait rien d’une maîtresse ni même d’une amante ; elle était la mère par excellence, respectable et irréprochable, attentionnée pour leurs trois enfants.
Le bruit du trafic avait couvert le bip du téléphone, il sentit cependant ce dernier vibrer dans la poche de son pantalon. Un coup d’œil à sa montre le rassura : il avait largement le temps de s’arrêter pour lire le précieux message.
Ce fut comme une bouffée de chaleur qui l’envahit. Il eut une fraction de seconde la tentation d’oublier son train et de poursuivre sa route jusque chez elle. Il avait encore en tête la fin de ce qu’elle lui disait la veille…
  • Mes doigts, ma bouche, mes lèvres, ma langue caressent tout ton corps afin de l’électriser et dans le but secret de faire se dresser cette partie de toi si délicieuse lorsqu’elle fond dans ma bouche…

Pas une seule fois Birgitt n’avait voulu poursuivre une fellation à son terme ; elle suçait du bout des lèvres, à regret, faisant une telle moue qu’il se sentait obligé d’abdiquer très vite. Au contraire, Ulrike ne boudait pas ce genre de plaisir et semblait même y prendre une grande partie du sien.
Jochen avait trompé sa femme très vite après leur mariage. Dès qu’elle était tombée enceinte de leur premier enfant. Cela avait eu lieu parce qu’elle se refusait à lui dans son état et qu’il avait des besoins que la seule masturbation ne parvenait pas à combler. Il avait donc cherché des partenaires occasionnelles qui ne fussent pas des professionnelles, afin de limiter les risques de maladies. Pendant ces neuf mois, il avait couché avec une demi-douzaine de femmes dont quelques-unes étaient des collègues de bureau. Quand Heinz était né, il avait espéré que Birgitt reviendrait à de meilleures dispositions, mais il était visible qu’elle n’avait pas les mêmes besoins que lui sur le plan sexuel. Il avait continué à l’aimer sincèrement, tout en décidant de mener une vie parallèle pour le reste. Les rares relations conjugales qu’on lui consentait avaient permis la naissance d’Hilde et enfin d’Andreas.
Mari et père attentionné, Jochen s’était attaché à n’avoir que des histoires sans lendemain afin de ne pas mettre en péril le bonheur de son foyer. Cela avait marché jusqu’à sa rencontre avec Ulrike, quatre ans plus tôt.
N’y tenant plus, Jochen pianota fébrilement sur le clavier de son téléphone portable. Il venait de prendre sa décision, puisqu’il ne pouvait se libérer immédiatement à cause d’une réunion importante qui l’attendait, ce serait pour ce soir !
  • Mon amour,
  • Tes mots mettent le feu en moi.
  • Je n’en peux plus d’attendre, j’ai envie de me jeter sur toi, de t’arracher tes foutus vêtements, de mordre tes seins, de manger ta bouche et de m’introduire en toi sauvagement.
  • Je veux que ce soit si intense que nous en ressortions brisés de fatigue, éperdus d’une jouissance extrême…
  • Je serai chez toi en fin d’après-midi si ça te convient. Nous en profiterons pour parler, après.