lundi 11 mai 2020

Gentil Coquelicot

« Mon Oxymore,
Je suis allée faire le tour du lac
avant de me jeter dedans… »

Le mot était posé en évidence sur la table de la cuisine, calé contre un bol de faïence bleu pastel, à côté du sucrier, du pot de confiture, du bocal de Ricoré, de deux tranches de pain grillé, et du beurrier. La bouilloire était sur la gazinière, il n’y avait plus qu’à faire chauffer l’eau. Bien sûr, comme à son habitude, elle avait oublié de sortir la cuiller et le couteau à beurre !
Oui, sa première réaction avait été de pester contre l’étourderie de sa femme. Elle voulait toujours faire au mieux, que tout soit parfait pour lui, mais ça ne l’était jamais. Il s’était longtemps demandé si elle ne le faisait pas exprès. Par jeu. Pour le plaisir de le voir ronchonner et de venir ensuite se blottir contre lui pour obtenir son pardon. Elle aimait qu’il bougonne, ça l’amusait parce qu’elle savait qu’il n’était pas méchant. Il était simplement explosif. C’est pour cela qu’elle l’avait surnommé son "Oxymore", parce qu’elle trouvait qu’il était d’une « tranquillité éruptive ».
Donc, sa première réaction devant ce mot, laissé sur la table du petit-déjeuner, avait été de s’agacer contre l’oubli des couverts. Comme s’il n’avait pas bien lu ce qui était écrit, ou ne l’avait pas pris au sérieux. Peut-être était-ce une blague, après tout ? De mauvais goût, certes, mais une de ces espiègleries dont elle était gourmande.
Comment réagiriez-vous si, au réveil, vous découvriez dans la cuisine un tel message à la place de votre femme souriante et prête à vous tendre votre bol fumant et vos tartines déjà beurrées et luisantes de confiture ? C’est facile de vouloir juger les autres quand on ne s’est jamais trouvé confronté à pareille circonstance !
Il avait pris le mot et l’avait fixé sur la porte du réfrigérateur à l’aide d’un des magnets publicitaire qui s’y trouvaient et dont elle faisait collection, puis il avait allumé le gaz sous la bouilloire, avait préparé ses tartines pendant que l’eau commençait à bouillir, et avait pris le temps de savourer son petit-déjeuner tranquillement.
Pas une seconde il n’avait été inquiet. Pour lui, c’était un jour comme les autres. Le dernier de la semaine, chargé de l’espérance d’un week-end au calme.
Après avoir rangé la vaisselle sale dans l’évier, passé un coup d’éponge sur la table, il était remonté à l’étage pour se brosser les dents et se doucher, puis il s’était habillé avec soin et coquetterie, ce qui était pourtant inutile puisqu’une fois arrivé au cabinet il lui faudrait cacher tout ceci sous une longue blouse de coton vert pâle.
Ce n’est qu’une fois redescendu, alors qu’il attrapait ses clefs de voiture sur la console de l’entrée, qu’il prit conscience qu’elle n’était pas rentrée.
La porte de la maison n’était pas fermée à clef, celle-ci était d’ailleurs toujours dans la serrure, à l’intérieur. Il avait pensé alors qu’elle était peut-être dans le jardin. C’était un beau début de matinée, elle avait dû vouloir prendre le soleil sur la terrasse, à l’arrière du pavillon. Mais, vérification faite, elle n’y était pas. Alors, et alors seulement, il s’était mis à paniquer.
Quand on panique, on fait n’importe quoi. La pire absurdité vous semble soudain la logique même. Il avait couru dans toute la maison, ouvrant les portes à la volée, jetant un œil dans une pièce, puis dans une autre, ressortant pour l’appeler dans le jardin, courant au garage pour voir si toutes les voitures étaient là, ce qui était le cas. Alors ? Alors, il avait pensé au vieux vélo rouillé qu’elle affectionnait tant et avec lequel elle se lançait sur les chemins pierreux les plus improbables, à la recherche de fleurs ou de mûres lorsque c’était la saison. Et le vélo n’était plus là.
Était-ce rassurant ou fallait-il s’en inquiéter ? Rassurant si l’on considérait que cela prouvait qu’elle était partie de son plein gré. Inquiétant si l’on pensait à tous les accidents possibles avec ce vieux clou.
Que fallait-il faire ? La chercher, bien sûr, mais où ? Prévenir quelqu’un, demander de l’aide, mais à qui ?
Il avait appelé la clinique. Jeanne, son assistante, était justement à l’accueil car la secrétaire était une nouvelle fois en retard. Il lui avait demandé de voir avec son associé pour qu’il assume le maximum de ses rendez-vous en plus de ses consultations et d’annuler tous les autres. Il n’avait pas donné d’explication. N’y avait même pas songé. Pour lui, le travail et la vie privée étaient deux mondes différents.

Il s’était laissé tomber sur la pierre brute de la marche du perron et avait attendu encore une heure, pestant de plus en plus fort au fur et à mesure que le temps passait. « Mais où est-elle passée, Bon Dieu de bois ! » Ce « Bon Dieu de bois » remontait à ses lèvres du fin fond de son enfance, il le croyait oublié, c’était le juron préféré de son père. Qu’aurait-il dit d’autre, ce père taciturne qui comptait ses mots ? « Si t’es pas foutu de savoir ce qu’est devenue ta femme, c’est que tu ne méritais pas d’en avoir une. » Voilà, c’est probablement quelque chose de ce style qu’il aurait sifflé entre ses dents. De toute façon, il pensait que son fils était un bon à rien. Qu’il ait fait vétérinaire plutôt que médecin, n’en était-il pas un signe ? Et qu’importe qu’il ait fallu plus d’années d’études pour soigner les animaux plutôt que les humains. Au contraire, c’eût été une circonstance aggravante : pourquoi étudier davantage pour gagner moins, en argent autant qu’en reconnaissance.
L’heure écoulée, il était rentré dans la maison, s’était rendu dans son bureau d’où il avait téléphoné à la Gendarmerie. Pourquoi l’avait-il fait à partir d’un poste fixe plutôt que de son portable, comme pour la clinique ? Il n’avait pas d’explication. Ou plutôt si, parce que le portable avait parfois des problèmes de liaison et qu’il ne voulait pas risquer que la communication soit mauvaise ou brutalement coupée.
Mais d’une certaine façon, même avec le filaire la communication ne passait pas ; plus il exposait son angoisse au gendarme qui avait pris son appel, plus celui-ci s’acharnait à lui dire que ce n’était sans doute qu’un malentendu, que sa femme ne tarderait pas à rentrer pour lui donner une explication simple dont ils riraient tous les deux. De toute façon, il était impossible de déclencher une procédure de disparition inquiétante avant quarante-huit heures.
En bref, il fut éconduit, non sans quelque ménagement, mais avec une fermeté indéniable. Se montrer insistant eut été manifestement un outrage envers un fonctionnaire dépositaire de l’autorité.
Cette incompréhension, pour rester correcte ; cette incompétence, pour le dire autrement, ne tarderait pas à se retourner contre lui. L’inaction ferait place à un zèle procédurier destiné à couvrir ce qui pouvait l’être.

Les gendarmes ayant refusé de prendre l’affaire au sérieux, il n’eut d’autre choix que d’agir seul, de façon fort désordonnée. On peut même dire pathétique.
Sautant dans son 4x4, il partit à la recherche de sa femme, revisitant tous les lieux alentour où ils avaient des souvenirs et où elle aurait pu se rendre. C’était idiot car elle avait parlé de faire le tour du lac avant de s’y noyer. Mais comment draguer seul une telle étendue d’eau sans savoir par où commencer ? Il aurait au moins fallu pouvoir retrouver l’antique vélo et pour cela organiser une battue.
Il appela un copain journaliste, lui expliqua la situation, insistant sur la passivité de la maréchaussée, tenta de le gagner à sa cause pour que le journal local publie un article qui lui rallierait l’opinion, sinon les gendarmes. C’était sans compter le désir du rédacteur en chef de ne pas froisser inutilement les susceptibilités judiciaires.
Il y eut donc deux jours de perdus, puisque les textes de loi l’exigeaient. Un délai interminable, incohérent et incompréhensible aux yeux d’un mari inquiet pour son épouse. Son « Gentil Coquelicot », ainsi qu’il l’avait surnommée affectueusement eut égard à la facilité avec laquelle la blancheur de son teint de rousse virait au carmin au moindre rayon de soleil.
Il avait fait le tour du lac, pris des chemins de montagnes escarpés, roulé à travers les vignes du plateau, s’arrêtant ici ou là plus ou moins longuement. Aucun des coins qui jalonnaient le parcours de leur amour ne lui avait échappé. La cherchait-il vraiment ou courait-il après le moindre de leurs souvenirs communs ? Au fond, cette errance brouillonne devenait une façon d’être avec elle. Encore. D’ignorer sa disparition.
Pendant ces deux jours de vaines recherches, il n’était pas rentré pas chez eux, dormant dans sa voiture, appelant régulièrement sur le portable de sa femme ou sur la ligne fixe. Toujours sans réponse.
Le lundi matin, à la première heure, il s’était présenté à la gendarmerie. Les quarante-huit heures étaient écoulées, on pouvait prendre sa demande au sérieux…

Voilà ! Tel était le récit de ces heures folles qu’il avait vécues depuis son lever, le vendredi matin, au moment où il avait découvert le mot laissé par sa femme, jusqu’à sa déposition à la gendarmerie.
Ce récit, il le fit sans jamais varier, à en avoir la nausée. Devant le gendarme qui tapa de deux doigts malhabiles sa déposition du lundi matin, devant le capitaine de la Section de Recherche, devant le juge d’instruction, devant son avocat et tous ceux qui l’interrogèrent.
Une enquête fut d’abord ouverte pour disparition inquiétante. Sur la base du message laissé par la disparue, une équipe de plongeurs dragua le lac, mais c’était un peu chercher une aiguille dans une botte de foin face à cette vaste étendue d’eau alors que l’on n’avait pas la moindre idée de l’endroit d’où elle aurait pu sauter.
L’affaire fit la Une du journal local. On espéra que des témoins se feraient connaître, cependant il n’y eut que quelques farfelus pour se manifester. Parmi eux, un radiesthésiste qui se faisait fort de localiser la disparue. Ce fut l’occasion d’une scène brutale qui intrigua les enquêteurs. La vivacité avec laquelle le mari éconduisit l’homme au pendule leur sembla suspecte. Habituellement, les familles sont prêtes à accepter toutes les propositions d’aide pour faire la lumière sur une disparition. Il n’en fallut pas davantage pour orienter l’affaire sur un probable homicide dont le mari aurait été l’auteur. Ça n’avait pas été la première hypothèse, bien que celle-ci n’ait pas été totalement écartée car les statistiques exigeaient qu’on vérifiât un minimum de points.
Progressivement, le statut du mari éploré bascula vers celui de suspect numéro un. Il cria, insulta, protesta de sa bonne foi et de l’amour qu’il avait toujours eu pour son « Gentil Coquelicot », puis finit par se murer dans un mutisme obstiné. Quoique relativement inexpérimenté, son jeune avocat résuma la situation : en droit français, c’est à l’accusation qu’incombe la charge de la preuve de la culpabilité et non à l’accusé de produire celle de son innocence, d’autant plus lorsque l’on parle d’un homicide sans cadavre. On pouvait tout aussi bien se trouver devant un cas de disparition volontaire comme il y s’en produit des milliers chaque année.
L’enquête de voisinage n’avait rien montré d’autre qu’un couple sans histoire, estimé de tous. Lui, était un vétérinaire d’excellente réputation ; elle, dirigeait une petite maison d’édition régionale. Ni l’un ni l’autre ne paraissait mener de double vie ou avoir des dettes insurmontables. Deux vies lisses et bien rangées qui ne semblaient pas devoir prêter le flanc au drame. Et pourtant, elle avait disparu et n’avait plus donné signe de vie depuis des semaines désormais. Quant au mot laissé, qu’une expertise graphologique avait authentifié, il laissait les responsables de l’enquête dubitatifs. Ils le trouvaient trop succinct, donc suspect. Ils eussent préféré qu’il soit plus long ou qu’il n’y en ait pas.
La perquisition du pavillon montra qu’il ne manquait pas de vêtements féminins dans le dressing, que toutes les valises et sacs de voyages détenus par le couple étaient présents, les bijoux rangés dans leur boîte, sur la coiffeuse de la chambre. On avait retrouvé le sac besace dont elle ne se séparait jamais, pendu à une patère dans l’entrée, avec ses papiers, cartes de crédit, chéquier et téléphone portable éteint.
Les fadettes du mari avaient montré qu’il n’avait cessé de tenter de l’appeler depuis le jour de sa disparition, ce que confirmèrent les messages qu’il avait laissés sur la boîte vocale. Le ton y était tantôt inquiet, tantôt agacé, parfois larmoyant et souvent courroucé. Cependant, il n’y avait pas de menace ou de vraie colère dans les mots employés, cela pouvait correspondre aux diverses phases de sentiments d’un homme dont l’inquiétude allait croissant.
Le croisement des données du GPS du 4x4 et des bornages de son téléphone portable permit de reconstituer le parcours des recherches du mari. On s’en servit pour organiser des battues, aidé d’une brigade cynophile, afin de s’assurer qu’il n’avait pas mis son week-end à profit pour se débarrasser du cadavre, mais on ne trouva rien. Pas même l’antique vélo dont une description minutieuse avait été faite. Le mystère restait entier.

Toute cette affaire dura des mois.
Présenté à un juge d’instruction, le mari fut placé sous le régime de témoin assisté. Il choisit un avocat frais émoulu de la faculté sur la liste de permanence. On essaya de lui faire comprendre qu’il aurait davantage intérêt d’en choisir un plus expérimenté, il en avait les moyens. Il refusa. Pour lui, l’affaire était simple et ne nécessitait pas de s’adjoindre une pointure du barreau.
En l’absence de corps et d’éléments matériels probants, un non-lieu fut prononcé et l’affaire classée.
Dans le village, progressivement, le regard des gens se fit plus doux. La suspicion entretenue par les journaux et la Gendarmerie céda le pas à la compassion. Il devint le vétérinaire qui avait perdu sa femme, au sens littéral. Quelques jeunes femmes tentèrent leur chance auprès de lui, sans succès. Cela ne fit qu’augmenter la sympathie de celles qui voyaient dans son attitude l’image d’une fidélité parfaite, peut-être d’un espoir de retour possible.
*

Deux ans avaient passé.
Tout était rentré dans l’ordre. Au fil des mois, la compassion avait cédé le pas à l’indifférence. Même ses plus fidèles clients ne se sentaient plus obligés de lui glisser un mot de sympathie lorsqu’ils venaient faire soigner leur animal. C’était très bien ainsi. Il ne désirait rien tant que d’avoir la paix.
Un portrait-robot et un avis de recherche devaient dormir dans un dossier oublié de la Gendarmerie. On ne pouvait en vouloir aux enquêteurs, ils avaient fait le maximum pour trouver une explication à ce mystère.

Le matin, en descendant dans la cuisine, il trouvait sur la table le bol de faïence bleu pastel à côté du sucrier, du pot de confiture, du bocal de Ricoré, de deux tranches de pain grillé, du beurrier, de la cuiller et du couteau à beurre, ainsi que la bouilloire remplie d’eau sur la gazinière, tels qu’il les avait disposés la veille au soir avant de monter se coucher. Le mot du Gentil Coquelicot, que la Juge d’instruction avait bien voulu lui rendre, était fixé au réfrigérateur avec le même magnet publicitaire qu’il avait utilisé ce jour-là.
C’est si simple, au fond, de prendre des habitudes et d’y trouver un certain confort. Ce petit-déjeuner, dont il détestait depuis toujours cette poudre lyophilisée et les confitures trop sucrées, lui était indispensable pour ne pas oublier.
Après s’être douché et habillé, il descendait prendre sa sacoche dans son bureau, l’apportait jusqu’au garage où il l’enfermait dans le coffre de sa voiture. C’était un rituel idiot, il aurait tout aussi bien pu l’y laisser le soir en rentrant. Il ouvrait le portail du garage, et celui du jardin à l’aide d’un bip, puis il contournait la maison pour aller se planter au pied du cerisier…

Comme chaque matin, il se tient droit devant l’arbre. Il a défait sa ceinture, déboutonné son pantalon, qui lui tombe ainsi un peu sur les hanches, et il pisse à jet continu contre les deux grosses racines qui sortent du sol. Il lève la tête vers le soleil, pour mieux sentir la chaleur sur ses joues puis, quand il a fini son affaire, il se rhabille.
Il fait quelques pas en arrière et se penche pour ramasser dans l’herbe un maigre bouquet qu’il avait préparé et posé là le temps de sa miction matinale. Il le dépose là où la terre est humide de son urine.
— Voilà, je t’ai apporté les premiers coquelicots de l’année. Je les ai cueillis pour toi tout à l’heure. Ils sont tout frais et devraient tenir quelques minutes. C’est si éphémère un coquelicot, tu en sais quelque chose…
Il parle à voix basse, bien que personne ne puisse l’entendre. Le premier voisin est à cinq cents mètres et cette partie du jardin n’est bordée d’aucun chemin.
— Tu vois, ce n’est pas si compliqué un crime parfait. Il suffit de tout préparer minutieusement et de donner aux flics des pistes qu’ils exploreront jusqu’au bout sans rien trouver. Je suis assez fier du vélo. Celui-là, ils pourront le chercher longtemps encore puisqu’il n’a jamais existé. Pas mal non plus, le coup de partir à ta recherche tout le week-end dans les endroits les plus improbables où l’on peut trouver tant de cachettes possibles pour dissimuler un corps. Ils étaient tellement obnubilés par ça qu’ils n’ont pas pensé à retourner le jardin, où tu étais sagement enterrée depuis le jeudi en fin d’après-midi. Je ris encore en pensant à leur excitation lorsqu’ils sont tombés sur ton invraisemblable collection de romans policiers et ont voulu savoir à qui ils appartenaient, si je les avais lus. Ils étaient prêts à faire une recherche d’empreintes et d’ADN sur chaque volume, mais ça aurait été trop long et trop cher. On n’était pas dans un épisode des Experts, seulement dans une petite brigade de province. Le seul qui m’a fait flipper, c’est le radiesthésiste. On a beau ne pas croire à ce genre de sornettes, il y avait tout de même un risque que le hasard le mette sur la trace de ton arbre. Mon couplet sur ce qu’il y avait d’odieux à chercher à profiter de ma détresse était malgré tout assez convaincant, bien que cela ait fait basculer l’enquête. Mais ça ne me dérangeait pas, je l’espérais même. Pour ma tranquillité future, j’avais besoin d’être suspecté et de bénéficier d’un non-lieu.
Il se retourne, indifférent, et fait quelques pas pour rejoindre sa voiture.
— Ah, j’allais oublier ! Un dernier détail… Je ne te remercierais jamais assez pour ce mot stupide que tu m’avais laissé quelques semaines plus tôt, dans lequel tu m’annonçais aller faire le tour du lac avant de t’y jeter. Ton habituelle manière de me dire que tu comptais faire quelques brasses après ton jogging matinal. Pour une fois, ton humour à la con n’est pas… tombé à l’eau.

Il se retourne et s’en va d’un pas résolu vers le garage. En somme, tout est dit.
Jusqu’à présent, il se contentait de venir pisser contre l’arbre. Sa version du « J’irai cracher sur vos tombes. » Il n’éprouvait pas le besoin de lui parler, ni d’expliquer son geste. Peut-être est-ce ces quelques coquelicots qui avaient poussé au milieu des herbes folles qui bordaient l’allée menant jusqu’au garage qui lui avaient donné l’envie soudaine de venir les lui offrir en lui faisant cette longue déclaration. Et qui sait si ces quelques phrases ne constituaient pas la seule vraie conversation qu’ils avaient eue depuis fort longtemps, bien avant qu’elle disparaisse…
Bien sûr, "conversation" n’était pas le mot juste. Il aurait fallu dire "monologue". Celui-ci convenait, parfaitement, il résumait tout : les longues journées de silence entre eux, les mots laconiques posés sur la table du petit-déjeuner ou la console de l’entrée.
— La console, ne m’a jamais consolé, dit-il à mi-voix dans un imperceptible haussement d’épaules, tout en lançant le moteur du 4x4.
 
Toulouse, 11 & 12 mai 2020

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