lundi 17 août 2015

Comment j'ai tué mon père 1/2

Papa a toujours adoré Jacques Brel. Lorsque j’étais enfant, il y avait en permanence un disque de lui qui jouait à la maison et je me souviens, plus tard, de l’attente du dernier album, de sa joie d’être l’un des premiers à le posséder à l’heure même de sa mise en vente.
Je revois la pochette bleue, ce ciel nuageux portant simplement la mention "BREL" en caractères bâtons blancs ajourés et, dans le coin inférieur droit, la signature "Barclay".
J’ai encore dans l’oreille les joies de la découverte de ces chansons inédites, les grognements de satisfaction, les silences un peu boudeurs sur certains passages.
Il souriait sur le rythme endiablé des Remparts de Varsovie et s’assombrissait sur les textes plus langoureux tels que Jaurès, La ville s’endormait ou, celui qu’il préférait entre tous : Vieillir.
Le sillon de vinyle le plus usé dans sa discothèque doit être ce morceau-là, qu’il passait en boucle.

Mourir cela n’est rien
Mourir la belle affaire
Mais vieillir… ô vieillir !

Comme si cette chanson recelait pour lui une sorte de mise en garde, une prémonition de ce qui lui adviendrait près de quarante ans plus tard, tandis que j’aurais moi-même atteint le demi-siècle, l’âge qui était alors le sien.
Brel l’avait d’une certaine façon prévenu : la vieillesse est une abomination quand le corps précède l’esprit dans l’amoindrissement !
La vieillesse est sournoise, elle s’installe subrepticement, par petits abandons et capitulations majeures successives. On ne la voit pas venir, mais soudain elle est là, nous sommes en plein dedans, happés comme dans un marécage de sables mouvants : au moindre geste on s’enfonce un peu plus…
Le corps s’alourdit, la voix faiblit, la vue baisse, les mouvements ralentissent, la mémoire nous joue des tours en nous donnant libre accès aux souvenirs lointains pour mieux nous priver des événements plus récents. On commence par chercher un nom propre, puis ce sont les mots les plus communs qui nous échappent. Alors on triche un peu, on dit "truc", "chose", ou tout autre d’un air espiègle pour faire croire que la substitution est volontaire, pour rire. Mais très vite nos phrases ne seraient que des colliers à rangs de "trucs" et de "choses", alors on raréfie la parole et l’on finit par s’énerver de ne pouvoir se faire comprendre ou se comprendre soi-même.
J’ai vu toutes ces étapes sur le chemin de mon père, sans vraiment y prêter une grande attention. Il restait l’homme que j’ai toujours aimé profondément. Le colosse protecteur dans les bras duquel je me précipitais pour trouver refuge dès que j’ai su marcher. Je n’ai pas pris garde suffisamment tôt à quel point le colosse se voûtait pour finir par se tasser, se casser.
On néglige ces signes-là par peur de la vérité. On recule le moment fatidique où l’on ne pourra plus faire autrement que de prendre acte, accepter l’inéluctable défaite.

Papa a commencé à vieillir à la mort de maman. Il avait alors 73 ans, elle atteignait ses 70. Leur mariage avait été un parcours chaotique, il n’était plus qu’une mauvaise habitude. De celles dont on a le plus de mal à se défaire.
Ils ne communiquaient plus beaucoup, tous les deux. Leurs échanges se limitaient à l’essentiel : une vague interrogation sur leur santé du jour, le menu du prochain repas ou autres futilités dont ils pensaient qu’elles ne seraient pas matière à conflit.
Ce n’était pas de la haine, non plus sans doute de l’indifférence, mais une vague incompréhension. Un peu comme s’ils s’étaient perdus de vue à un certain moment et n’avaient jamais su comment faire pour se retrouver.
Il y avait eu des engueulades violentes par le passé, j’avais vu ma mère pleurer, mon père jeter des choses par la fenêtre pour exorciser son envie de la frapper elle, chose qu’il n’a heureusement jamais faite…
J’avais plus d’une fois souhaité leur divorce, exhortant ma mère à franchir le pas dans un mouvement qui n’était au fond rien d’autre que l’expression du pire des égoïsmes. Leur séparation était censée m’apporter la tranquillité, je n’avais guère soucis du reste. Mais peut-on attendre autre chose, de la part d’un enfant, que ce désir autocentré d’un hypothétique bonheur ?
Ils avaient donc poursuivi leur chemin ensemble, mais séparément, comme deux parallèles qui ne se rejoignent jamais. C’était à mes yeux un exemple désastreux de la vie de couple, du mariage ou même simplement du respect humain… celui que l’on doit à autrui autant que celui dont nous sommes redevables envers nous-mêmes.
Je les jugeais. Avec tout l’amour et le respect que j’avais pour eux, je ne pouvais m’empêcher de poser sur leur couple un regard inquisiteur, parfois méprisant, toujours révolté. Et pourtant je savais au plus profond de moi qu’il n’appartient pas aux enfants de juger leurs parents, ne serait-ce que pour éviter d’être cloués au pilori à leur tour.
Mes parents s’étaient implicitement partagé l’appartement dans lequel ils vivaient. À ma mère la cuisine et le salon où elle passait une grande partie de son temps libre devant la télévision, à mon père le bureau et chacun sa chambre. Une atmosphère à la Simenon, dans laquelle le drame aurait été incapable d’éclater s’il n’était venu de l’extérieur.
De l’arrière-saison à la fin de l’hiver, une ou deux après-midi par semaine, maman délaissait les séries policières de la télévision, maintes fois rediffusées, pour aller en ville passer un peu de temps dans un de ces lotos d’où elle revenait souvent chargée de lots gastronomiques qui finissaient sur la table familiale et sur lesquels mon père s’abstenait de tout commentaire.
À défaut d’être un cauchemar total, cela n’avait rien non plus d’une vie rêvée. C’était pourtant la leur. Celle d’une femme qui se sentait délaissée et d’un homme probablement rendu égoïste par une mère possessive qui lui avait passé tous ses caprices pour mieux le retenir auprès d’elle jusqu’à ce qu’une étrangère vienne le lui prendre.
Pour goy qu’elle était, ma grand-mère paternelle aurait donné des leçons à la plus caricaturales de mères juives !

Mes parents avaient fait toute leur carrière à Paris avant de descendre dans le sud pour y prendre leur retraite. Mon père avait fait ce choix pour se rapprocher du berceau de sa famille. Une famille totalement éteinte dont il était avec mon frère, ma sœur et moi le dernier représentant. Ils nous avaient donc transplantés dans ce nouveau décor inconnu, loin de nos amis et des leurs. Nous nous étions ainsi retrouvés tous les cinq coupés de toute vie sociale.
Nous autres, les "enfants", avions pu en reconstruire une grâce à nos études universitaires. Mon père, de son côté, s’était lancé dans la vie associative avec brio. Quant à maman, recluse dans un immeuble où les gens se saluaient à peine devant les boîtes aux lettres, elle avait trouvé une ou deux "amies" qu’elle retrouvait d’un loto à l’autre et avec lesquelles elle allait parfois boire un thé en ville hors saison.
Maman n’aimerait pas que je parle ainsi de leur histoire. Sans doute était-elle parvenue sinon à l’idéaliser du moins à la rendre acceptable à ses yeux. Mais je ne dis pas qu’elle était une victime. Au fil du temps, je sais parfaitement à quel point chacun était devenu le bourreau de l’autre !
Lorsqu’elle est morte, de façon subite, papa aurait pu se sentir libéré. Sans doute l’a-t-il été en partie. Cependant je crois qu’il a également été victime d’une sorte de syndrome de Stockholm. Il s’est retrouvé déboussolé devant le vide laissé par ma mère dont il aurait pourtant donné cher, quelques heures plus tôt, pour qu’elle lui "foute la paix".

Maman s’est effondrée en descendant du bus, alors qu’elle allait tenter sa chance pour le second demi-cochon de la saison. Infarctus postérieur massif. Le genre de chose dont on ne meurt pas habituellement puisque cela se passe à la sortie du cœur. La présence d’un médecin sur place n’a servi à rien, malgré le massage cardiaque pratiqué pendant d’interminables minutes.
Maman mourrait sur un trottoir tandis que papa donnait un cours de paléographie non loin de là. Jean était à un partiel de biochimie, Marie devait s’envoyer en l’air avec sa dernière trouvaille, et moi, pauvre poire, la "belle" Hélène, à quoi ou à qui rêvais-je ?
J’imaginais encore qu’une vie était possible pour moi, qu’il me suffirait de trouver le courage de parler à maman pour obtenir son soutien et ainsi affronter mon père. Mon idole dont je savais bien qu’il me renierait à l’instant même où je lui parlerai de mes projets, de mes amours…
Je revois très bien ce jour où tout a basculé pour moi. Le soleil presque incongru pour la saison et le froid vif qui l’accompagnait. Je garde en mémoire chaque détail, du départ de maman pour le loto jusqu’à l’appel téléphonique de la police nous informant qu’elle venait d’être conduite aux urgences, puis à la mine de l’interne annonçant qu’elle s’en était allée.
Vingt ans après, j’ai toujours besoin d’euphémismes pour dire qu’elle est morte. C’est sans doute ma façon de lui en vouloir encore de m’avoir abandonnée.
Je revois chaque détail et pourtant je ne comprends pas comment je me suis retrouvée en première ligne à ce moment-là. J’étais la plus jeune, pourtant c’est à moi qu’il a incombé de régler toutes les démarches. Mon père était anéanti, mon frère obsédé par le nécessaire report de son mariage, ma sœur secrètement davantage préoccupée par la vie qu’elle allait donner que par celle que notre mère venait de perdre.
Il m’a fallu choisir le cercueil, privilégier l’incinération à cause de l’absence de caveau, publier l’avis de décès dans le journal local, envoyer les faire-part aux quelques connaissances que maman s’était faits autour de grilles numérotées. Je pleurais et hurlais ma peine en silence avec la parfaite conscience d’être transparente pour tous ceux à qui je me substituais en agissant.
Seule Violette avait de la compassion pour moi et je trouvais auprès d’elle tout le réconfort dont j’avais besoin. Ma tête sur son épaule, mon nez dans l’échancrure de ses éternels chemisiers à fleurs, ses bras autour de mon cou, ses lèvres dans mes cheveux qui descendaient peu à peu jusqu’à mon front, mes yeux, mes joues avant de se plaquer contre ma bouche tandis que sa langue écartait mes lèvres…

La défection de maman a été comme un signal. Après cela, les choses se sont enchaînées très vite. Marie a eu son premier enfant sans père, qui ne serait pas le dernier ; Jean a épousé Audrey, ils sont retournés à Paris où ils feraient une plus brillante carrière et moi, sans enfant ni mari, j’ai insensiblement pris la place de maman dans les tâches quotidiennes qu’un homme prétend être incapable d’accomplir.
Au début, ce n’était pas très contraignant. Le ménage deux fois par semaine, la lessive, les courses, un peu de cuisine. Rien de bien méchant : les courses il me fallait de toute façon les faire pour moi aussi, tout comme la cuisine. Et la poussière était vite expédiée. Papa passait l’aspirateur dans chaque pièce, parce qu’il avait pris l’habitude de le faire depuis le début de leur mariage. Une concession devenue perpétuelle, en somme.
À la disparition de maman, j’avais essayé de le convaincre de vendre l’appartement pour en acheter un moins grand près de chez moi, mais il n’avait pas voulu en entendre parler. Il avait trop de souvenir là-bas, disait-il. Sans doute avait-il raison, c’est à chacun d’affronter le deuil à sa façon. Pour ma part, je n’attache aucune importance aux lieux ou aux choses matérielles. Maman est en moi, bien plus présente dans mes souvenirs que dans sa montre que papa a tenu à me donner et que je porte encore aujourd’hui. Une montre peut faite tic-tac ; qu’importe, si le cœur de ma mère ne le fait plus !
Les premières années ne furent pas si terribles. C’était en quelque sorte la mise en place. La pièce se rodait pour les représentations futures. Un plateau au décor unique pour une pièce à deux personnages principaux et quelques vagues figurants.
Papa ne sortait que pour ses activités associatives, tandis que je m’occupais du reste. De l’intendance.
Adolescente, j’avais souvent imaginé la mort de l’un d’eux. Sans doute parce qu’ils me paraissaient vieux. Quand on a quinze ans, un trentenaire est un croulant, n’est-ce pas ?
Je ne sais pourquoi, alors que j’étais plus proche de lui j’avais toujours imaginé que mon père partirait le premier. Je ne parvenais pas à l’imaginer survivant à ma mère. Par une sorte d’intuition, je préjugeais qu’il lui serait impossible de survivre seul. Aussi, d’une certaine manière ai-je innocemment souhaité qu’il s’en aille le premier. Nul doute que maman aurait su rester seule dans le vaste appartement, gérer les courses, le ménage, la cuisine et même les papiers administratifs. N’avait-elle pas fait cela toute sa vie, après tout ? Elle aurait vieilli progressivement, ses cheveux seraient devenus blanc, sa démarche hésitante aurait nécessité une canne qu’elle aurait mis une coquetterie extrême a oublier d’une pièce à l’autre…
Je me rends compte tout à coup que si j’ai toujours été plus proche de mon père, c’est parce que je pensais ma mère insubmersible. C’était un roc que rien ne pouvait éroder quoi que ses larmes aient pu laisser paraître face à papa. Sans aucune hésitation, j’aurais tout misé sur ma mère en criant "banco" ! Mais la vie en a décidé autrement.

Le premier incident grave est survenu dix ans après le départ de maman. Le jour de Noël.
Nous nous étions tous donné rendez-vous en fin de matinée à l’appartement afin que les gosses découvrent leurs cadeaux au pied du sapin de leur grand-père. Violette, inexistante aux yeux de tout ce petit monde, était dans sa famille où elle comblait ses neveux et nièces comme je le faisais ici avec les miens.
Au salon, mon père était assis dans son fauteuil tandis que ses petits-enfants surexcités déballaient bruyamment leurs cadeaux. François découvrait un train électrique tandis que Mireille s’extasiait devant une poupée dernier cri qui s’avérerait très vite plus insupportable qu’un vrai bébé. Maxence râlait comme à son habitude parce que ce "crétin de Père Noël" n’avait rien compris à sa demande ou s’était montré "rapiat comme pas deux" ; trop petite, Élodie ne disait rien, simplement émerveillée par l’excitation du reste des enfants. Je ne puis rien dire des autres car c’est à ce moment-là que je me suis rendu compte qu’il y avait un problème.
Papa me regardait de biais en disant quelque chose que je ne parvenais pas à saisir. Sa bouche était de travers et je crus l’espace de quelques secondes qu’il parlait ainsi pour faire une réflexion sur la bêtise de parler du Père Noël à des enfants trop crédules, mais je compris très vite qu’il n’en était rien. Ses traits figés, son corps lourd étrangement immobile montraient que nous étions en présence d’un AVC et il fallait faire vite.
C’est pourtant sans précipitation apparente que je me suis dirigée vers le téléphone de l’entrée pour appeler le Samu. Je ne voulais pas gâcher la fête de ce petit monde. Tandis que nous attendions l’ambulance, j’ai expliqué à mes frères et sœurs qu’ils allaient devoir faire diversion rapidement et quitter les lieux avant que les enfants ne soient traumatisés par le départ de leur grand-père sur un brancard.
Ce Noël-là, je le passais aux urgences, dans une salle d’attente, guettant le passage d’un interne pour quêter la moindre information.
On ne se rend pas compte de l’activité d’un service d’urgence hospitalière un jour de Noël, tant qu’on n’y a pas été confronté. Les réveillons sont pourvoyeurs de blessures diverses, d’accidents ou de tentatives de suicides bien plus qu’on ne l’imaginerait a priori !
Le destin ou la providence ont voulu que papa s’en sorte sans séquelle. On m’a dit qu’il devait ce miracle à ma promptitude à réagir. Même pour dissimuler ses propos aux enfants, cette bouche tordue ne m’avait laissé aucun doute sur ce qui était en train de se produire, mais si je n’avais pas eu l’occasion de voir un reportage quelques jours plus tôt sur le sujet, aurais-je aussi bien compris ce qui était en train de se produire ?
Quoi qu’il en soit, mon père s’en tira avec une liste de médicaments à prendre à vie, accompagnée de contrôles sanguins réguliers. Nous avions senti le vent du boulet, mais ça n’allait pas plus loin.
Les semaines qui ont suivi ont été très difficiles pour moi. Je savais qu’il y avait eu plus de peur que de mal, cependant j’étais minée par la conscience que nous avions frôlé la catastrophe et que si celle-ci s’était produite je serais restée à jamais dans un déni dont il ne me serait plus possible de me dépêtrer.
Six mois plus tard, je décidais de faire mon coming out. Je n’ignorais pas l’ambiguïté des sentiments qui me poussaient dans cette voie, mais je ne supportais plus l’idée de ce secret qui me rongeait. Comment pouvais-je me sentir coupable du bonheur que me donnait Violette et auquel j’avais droit ? Je refusais de courir le risque de passer le reste de ma vie à regretter la lâcheté qui m’avait poussée à me taire jusqu’à présent.
Le risque était calculé. Le même homme qui m’aurait immanquablement jeté hors de chez lui pour ce motif à l’adolescence n’avait plus d’autre choix que de m’accepter telle que j’étais s’il voulait que je continue à m’occuper de lui. Qui l’aurait fait sans cela ? Jean, qui était à Paris, ou Marie perpétuellement entre deux amants-géniteurs ?
Bien sûr, il savait déjà tout ce que j’avais à lui dire. Simplement, il n’avait rien cru devoir faire pour me faciliter les choses. Je lui en ai longtemps voulu pour cela. J’aurais préféré qu’il feigne la surprise, c’eût été plus élégant.
Dans la foulée, j’informais le reste de la famille et présentais Violette à tout le monde. Elle en fut à la fois ravie et outrée. Ce fut sans conteste l’un de nos plus graves sujets de dispute : elle m’accusa de l’avoir bassement instrumentalisée et exigea n’avoir plus jamais affaire à une famille qui avait mis tant de soins à ignorer son existence jusqu’alors.
Au fond, j’ai la certitude que mon père et ma fratrie ont ressenti mon aveu comme un soulagement. Le fait que je sois officiellement lesbienne, donc sans famille et sans enfants potentiels à leurs yeux, m’installait définitivement dans le rôle de fille corvéable à merci. Les mots sont durs, ils n’en expriment pas moins une réalité bien plus dure encore.
Si j’avais été une fille "normale", j’aurais pu convoler en justes noces comme mon frère ou choisir d’être une éternelle fille-mère comme notre sœur, dans les deux cas c’était pour moi l’occasion de quitter le nid pour aller faire le mien plus loin. Mais une gouine n’a pas besoin d’une vie en dehors de ses moments d’égarement. Déjà bien beau qu’on les lui tolère !
Il se peut que je sois injuste. Après tout, je ne fais que raconter ici cette histoire de mon seul point de vue. Comment pourrais-je exprimer valablement celui des autres, dans une famille ou le silence a toujours été de rigueur sur la question du sexe aussi bien que sur celle des sentiments.
À cette époque-là, j’étais à fleur de peau sur le sujet. Les gays défilaient dans les rues au nom de leur nécessaire visibilité tandis que les lesbiennes restaient cantonnées dans un déni qui les avait toujours protégées d’une certaine manière en même temps que méprisées.
Le soir et les week-ends, je m’enivrais du parfum de Violette, mon corps se tortillait sous ses caresses, mes dents déchiraient ses dessous de dentelles, ma langue titillait ses seins fermes, mes doigts fouillaient son intimité tandis qu’elle s’occupait de la mienne avec une dextérité qui me faisait littéralement quitter mon corps, devenir aérienne comme un pur esprit, ce qui était bien loin de la réalité d’un corps qui s’alourdissait de plus en plus.
(À suivre…)

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