mardi 8 octobre 2013

La Sortie des écoles 1/3



À H.R.,
in memoriam



 PREMIÈRE PARTIE


On ne comprenait pas très bien ce qui avait motivé l’appellation de l’établissement. Pourquoi baptiser Le Drakkar une brasserie bar-tabac située à des centaines de lieues des premières côtes ou d’un quelconque fleuve du fond des terres ? Mais qui se posait vraiment la question, de toute façon ?
C’était un de ces petits bistros de quartier qui avait dû être un peu prétentieux au départ, lorsqu’il était encore flambant neuf, avant de se délabrer inexorablement au fil du temps. Il n’était pas sale mais simplement défraîchi, par négligence.
Toute la coquetterie dont la propriétaire était capable, elle la réservait à ses tenues et à sa coiffure. Une choucroute blonde comme en avait porté Brigitte Bardot trente ans plus tôt et dont le seul avantage était de la faire paraître plus grande qu’elle n’était en réalité.
C’était une femme d’une cinquantaine d’années, bien faite, suffisamment experte et motivée pour en dissimuler une dizaine au passage. Elle aimait séduire, c’était une seconde nature chez elle, qui s’exprimait tant sur le registre personnel que professionnel.
Marlène avait toujours vécu dans cet établissement, qu’elle avait hérité de son père contre sa propre volonté. Si sa mère n’avait pas encore été en vie à ce moment-là, sans doute aurait-elle tout bazardé pour aller refaire sa vie ailleurs. Elle n’avait aucun goût pour la limonade, plutôt une certaine haine. Une vieille rancune contre un métier qui l’avait à la fois privé de ses parents et imposé leur présence permanente. L’appartement était au-dessus, ce qui leur permettait de surveiller ses allées et venues, mais eux-mêmes n’avaient jamais été beaucoup présents à ses côtés.
Très vite, la jeune fille s’était lancée dans des études de secrétariat, avait perfectionné sténo et dactylo pour décrocher une bonne place dans une grosse affaire de BTP où ses compétences conjuguées à une certaine hardiesse lui avaient valu de monter très vite jusqu’à l’étage de la direction. Au passage, elle avait batifolé avec quelques cadres, se perfectionnant sur d’autres sujets, pour finir sinon dans le lit du patron au moins sur son bureau deux à trois fois par semaines.
Marlène aimait ces coucheries brutales, auxquelles elle n’attachait pas de véritable importance. C’étaient comme des récréations dans la monotonie des journées de labeur. Elle méprisait vaguement ces hommes trop vieux pour elle, bedonnants, imbus de leur force physique, persuadés d’être irrésistibles et du plaisir qu’ils lui donnaient. Aucun n’avait eu conscience que le seul plaisir avait été pour elle ses promotions successives.
La mort subite du père, consécutive à une rupture d’anévrisme, était venue mettre de l’ordre dans cette vie sans véritable débouché. Elle venait d’avoir trente ans, était la maîtresse de son patron depuis cinq ans et n’espérait plus la moindre promotion qui put la distraire.
Sa mère avait alors l’âge qui était le sien aujourd’hui, elle avait passé sa vie au Drakkar et n’imaginait pas pouvoir faire autre chose, cependant ce n’était pas une affaire pour une femme seule. Elle avait supplié sa fille de faire au moins un essai, en tout cas de l’épauler le temps de trouver une solution.
Marlène s’était laissée convaincre sans trop de résistance, moitié par amour pour sa mère, moitié par sentiment que sa vie avait besoin de nouveauté.
Les deux femmes s’étaient réparti les rôles. La mère trônait désormais à la caisse du tabac tandis que la fille dirigeait le bar et la cuisine. Les débuts avaient été un peu difficiles, Marlène faisait des erreurs et ne supportait pas d’être reprise. Elle ne connaissait pas l’art de la dissimulation et lorsqu’un client lui offrait un verre, elle le buvait réellement. Ce fut une mauvaise pente qu’elle eut du mal à remonter.
D’abord froide avec la clientèle, elle avait fini par prendre goût au métier et se détendre. Elle avait la plaisanterie facile et savait faire preuve d’un instinct commercial qu’elle n’avait jamais soupçonné jusque-là.
Les habitués l’avaient adopté peu à peu. Elle y avait gagné le surnom de Lili en hommage à la femme fatale que chacun devinait en elle.
De la même manière qu’elle ne se serait jamais faite épouser par son ancien patron, trôner derrière un comptoir ne la prédisposait pas à trouver l’homme idéal qui saurait lui passer la bague au doigt, pour autant qu’elle en ait jamais rêvé.
Elle avait eu quelques coucheries, le plus souvent sans lendemain, avec des clients réguliers. Rien de bien sérieux ni d’enthousiasmant. Et puis elle avait découvert un jour que le dénominateur commun de tous les coups minables qu’elle avait enchaînés depuis tant d’années était que ces hommes étaient vieux, déjà flapis. Alors elle s’était intéressée à l’un des serveurs qu’elle avait engagé quelques mois plus tôt, un garçon de vingt ans, qui lui avait fait découvrir le vrai plaisir de l’amour.
Marlène se révéla ainsi, bien des années avant que le mot fit florès, ce que l’on nommerait une “cougar”. Le serveur en question ayant pris son envol, elle le remplaça dans ses deux fonctions et prit ainsi l’habitude de faire tourner son personnel pour tous les avantages que cela comportait.


Il est sept heures du matin, ce mercredi 3 septembre 1986. Marlène a ouvert il y a une demi-heure.
Comme chaque matin, elle a allumé le percolateur, descendu les chaises qui avaient été renversées sur les tables la veille, afin de permettre de nettoyer le sol plus facilement, passé un coup d’éponge sur les plateaux de marbre gris, donné un coup de chiffon sur les banquettes de skaï et les chaises.
Postée derrière le comptoir, elle est en train d’essuyer les cendriers publicitaires qu’elle vient de laver et qu’il lui faudra redistribuer sur chaque table en salle et guéridon en terrasse.
Deux ouvriers se sont présentés pour prendre un café sur le coin du zinc et dans quelques minutes ce sera au tour du facteur de venir boire son coup de blanc matinal en déposant le courrier et le journal quotidien, mais la journée ne commencera véritablement qu’à partir de huit heures, nonobstant le passage éclair de la quinzaine de fumeurs qui viendront entre-temps chercher leur ration quotidienne de cigarettes.
Déjà, elle entend le pas de sa mère dans l’escalier de bois en colimaçon qui relie le fond de la salle de restaurant à l’appartement. Celle-ci va venir prendre sa place dans la partie réservée au tabac et aux divers jeux de loterie.
À soixante-quinze ans, c’est encore une femme altière, qui ne semble pas s’être tassée d’un centimètre avec l’âge. Elle se tient droite, le regard franc et acéré. Une maîtresse femme, qui a toujours su ce qu’elle voulait et la manière de l’obtenir.
Dure à la tâche, âpre au gain, elle n’envisage pas de prendre sa retraite un jour. À moins que sa fille ne cède Le Drakkar, hypothèse qu’elle évoque parfois mais sans réellement y croire elle-même. Ce métier lui est entré dans la peau, elle serait désormais incapable de se passer du contact permanent qu’elle a avec la clientèle, aussi superficiel puisse-t-il être à bien des égards.
Les deux femmes ne se parlent pas. Elles se sont saluées un peu plus tôt dans l’appartement, ont pris leur petit-déjeuner ensemble. Pour l’heure, chacune sait ce qu’elle a à faire et la mise en place ne doit pas traîner.
Pendant que sa mère dépose son fond de caisse dans le tiroir et s’apprête à regarnir les rayonnages qui en ont besoin, Marlène fait glisser les baies vitrées de la devanture qui donne sur la rue Jules Ferry. Tout à l’heure, Bruno sortira les tables et les chaises destinées au bout de terrasse dont Le Drakkar dispose sur le trottoir.
L’établissement fait l’angle avec l’avenue Gambetta. Sur cette dernière n’ouvre qu’une petite porte vitrée qui donne accès à la salle de restaurant et une vitrine fixe qui ne descend pas jusqu’au sol et qu’obstrue vaguement un voilage à la blancheur un peu passée.
Marlène jette un coup d’œil sur la pendule réclame qui est placée au-dessus de la porte, face au comptoir. Maumau ne devrait plus tarder. Il n’a pas appelé, c’est donc qu’il a trouvé son bonheur au marché où il s’est rendu dès l’ouverture.
Maumau, c’est Maurice, le cuistot. Chaque matin, il commence sa journée par un tour au marché où il décide du plat du jour en fonction des arrivages, de son humeur et du temps qu’il devrait faire. Quand il est hésitant sur deux plats possibles, il appelle Le Drakkar et c’est la patronne qui tranche, sinon elle s’en remet entièrement à lui, en toute confiance.
Il était déjà présent en cuisine au temps du père. Il s’y était pas mal embêté. À l’époque, il y avait un menu pour chaque jour de la semaine, établi une fois pour toutes, et qui revenait de façon cyclique.
Lorsque Marlène a repris l’affaire, Maumau a négocié avec elle qu’on le laisse essayer d’innover un peu. Il fut décidé d’une période d’essai, au cours de laquelle on vit apparaître sur les tables lapin chasseur, coquelet en crapaudine, risotto de magret aux cèpes, qui changeaient des côtes de porc et saucisses grillées auxquelles il était difficile d’échapper pour les malheureux condamnés à déjeuner au restaurant tous les midis.
La jeune femme n’a pas tardé à comprendre que c’était dans son intérêt. Elle avait remarqué que les quelques habitués qui évitaient sa table certains jours, de manière systématique, parce que le menu ne leur convenait pas commençaient à revenir. La variété des plats du jour, leur correspondance avec les saisons et les opportunités du moment, la surprise de la découverte au dernier moment, une fois devant l’ardoise qui les annonçait, tout cela créait une nouvelle dynamique. Quand ça ne plaisait pas, puisqu’on était là, il suffisait de prendre une grillade, un croque-monsieur ou une salade…
Sur une centaine de couverts quotidiens, Maumau prépare une quarantaine de plats du jour. Ainsi n’y a-t-il pas de restes à gérer et la pénurie qui s’annonce en fin de service montre à la clientèle de passage que la table est bonne puisqu’on s’y arrache la proposition du chef en confiance.
Connu comme le loup blanc sur la place du marché, Maumau sait négocier les prix et retenir les meilleurs morceaux. Il gère au mieux le coût de sa cuisine, sachant économiser un jour pour compenser le surcoût d’un autre. Ce qu’il cherche avant tout, c’est à satisfaire la clientèle en même temps que son goût pour une cuisine de bistrot simple et goûteuse.
Ce n’est pas sans une certaine appréhension que Marlène pense parfois qu’il va falloir le remplacer un jour. L’âge de la retraite approche pour lui aussi ! Elle pense “remplacer” et cela la fait sourire car c’est le même mot dont elle use pour calculer le moment où elle ne pourra plus faire autrement que de changer le percolateur. Quand un autre cuistot prendra la cuisine en main, ce sera comme lorsqu’un perco neuf trônera derrière le bar : il faudra un temps avant de s’habituer à leur fonctionnement et cela ne se fera certainement pas sans quelques petites crises. Qui aime être bousculé dans ses habitudes ?


Sept heures quarante-cinq. Bruno fait son apparition avec un bon quart d’heure de retard, feignant de ne pas voir le regard courroucé des deux femmes. La douairière ne lui dira rien, il le sait. Elle ne l’aime pas et c’est réciproque. En revanche, Marlène le coincera un peu plus tard dans un coin et piquera sa crise. Elle l’aime et ce n’est pas réciproque. Il la baise de temps en temps, pour tout un tas de mauvaises raisons : par désœuvrement, par hygiène, pour garder sa place, parce qu’il n’a personne d’autre en vue à ce moment-là, pour enquiquiner la vieille…
Bruno a vingt-quatre ans. C’est un blondinet à la beauté affolante ; il en a conscience et sait en jouer autant qu’il faut.
Il est habillé comme à son habitude, d’un jean délavé et d’une chemise hawaïenne bariolée, aux couleurs violentes, dont les trois derniers boutons sont défaits jusqu’au col. Par cette échancrure, on aperçoit un fin duvet de poils presque transparents sur lequel repose un étui de cuir  – suspendu à son cou par un lacet de même matière – où est glissé son briquet jetable. La poche revolver de son jean est gonflée d’un paquet mou de blondes américaines. Aux pieds, des chaussures de tennis en toile blanche qu’il enfile sans chaussettes.
Il porte des cheveux mi-longs, plus ou moins en broussaille, qui ont tendance à boucler sur le cou et derrière les oreilles, tandis que la moustache épaisse qui borde sa lèvre supérieure est coupée avec soin.
La jeunesse qui fréquente Le Drakkar, au sortir du collège ou du lycée, l’a surnommé affectueusement Magnum, en référence au héros incarné par Tom Selleck dans la célèbre série américaine et dont les chemises ont manifestement inspiré ses propres tenues.
Cette jeunesse, dont il n’est pas si éloigné, lui tourne autour et le courtise, aussi bien filles que garçons. Il se laisse tripoter jusqu’à un certain point et sait mettre un terme à des avances qui iraient trop loin. Il aime plaire et surtout il adore voir la tête de Marlène dans ces occasions. Elle est d’une jalousie extrême quand lui n’est qu’insouciance. Il sait qu’il ne craint rien car beaucoup des jeunes qui viennent ici le font parce qu’il est là ; s’il était mis dehors, la bande chercherait un autre lieu plus accueillant. Les bars ne manquent pas dans le secteur.
Il a lutiné quelques-unes des filles, mais sans jamais aller très loin. Juste ce qu’il faut pour entretenir leur flamme et les faire rêver. Pour ce qui est des garçons, il lui est arrivé quelquefois de se laisser faire une gâterie le samedi soir dans les toilettes de la boîte où il a l’habitude d’aller danser, mais il n’est pas tenté d’aller plus loin. Il se dit qu’il n’aimerait pas le contact d’une joue piquante de la barbe de la nuit contre la sienne au réveil, sans exclure cependant de tenter l’expérience au moins une fois pour vérifier la chose.
Sans un mot, il a commencé à sortir les tables et les chaises de la terrasse. Il sent le regard des deux femmes dans son dos. Chacune rumine à part soi. La vieille voudrait le prendre en faute pour le faire mettre dehors, sa fille quant à elle se demande où il a passé la nuit et la raison de ce retard.
— Il va falloir activer ! lance-t-elle entre ses dents.
Elle est là, juste derrière lui. Il ne l’a pas entendue approcher. Elle tient dans ses mains une pile de cendriers qu’elle distribue sur les tables qu’il vient d’installer.
— Maumau ne va pas tarder à arriver, il te faudra lui donner un coup de main pour décharger la camionnette. Et puis le livreur doit passer ce matin pour renouveler les fûts de bière et porter quelques casiers de bouteilles, poursuit-elle sur le même ton cassant.
Justement, Maurice arrive au moment où Bruno vient de poser la dernière chaise devant son guéridon de marbre. Il lui adresse un signe amical et se porte à sa rencontre sans un mot pour la patronne, qui en est pour ses frais. Le jeune homme ne réplique jamais à ses remontrances, sans qu’elle sache si c’est par politesse, servilité ou plus certainement par mépris.
L’équipe du matin est maintenant au complet. Au moment du coup de feu de midi, viendront s’ajoutez une petite brunette en renfort pour le service, stagiaire de l’école hôtelière, et un Pakistanais à la plonge.


Huit heures quinze. Tandis que Bruno achève de décharger la camionnette, Maumau range la viande dans les frigos, pose les cageots de salade sur le plan de travail près de l’évier où il va devoir les laver, dispose les légumes sur la table centrale où il les récupérera un peu plus tard. Tout est rodé, pas une minute ne sera perdue à partir de maintenant afin d’être parfaitement prêt au moment du service.
Il vérifie dans l’armoire réfrigérée les desserts qu’il a préparés la veille juste avant de partir. Ici, tout est “maison” à l’exception des glaces. C’est meilleur et ça ne coûte pas plus cher, même si cela donne plus de travail.
— J’ai préparé deux tartes au citron meringuées ce matin. Elles sont encore là-haut, mais on les mettra à la carte tout à l’heure, ça complétera…
Il arrive de temps à autre que la patronne prépare des desserts en complément. C’est selon son humeur, elle le met devant le fait accompli et il arrive que l’on se retrouve avec un trop-plein qui oblige à jeter.
Maurice a remarqué en arrivant qu’il y avait un froid entre elle et Bruno. Les deux tartes en sont en quelque sorte la preuve. Un jour qu’elle était en veine de confidence, elle lui a lancé : « Il y en a qui font tapisserie au moment du bal, moi je fais pâtisserie… » Elle était donc seule hier soir et cette nuit, ce matin elle s’est absorbée dans la confection de ses tartes en espérant faire diversion à son chagrin ou sa colère. C’est une excellente pâtissière et Maumau se dit qu’il faudrait que son collègue la laisse insatisfaite plus souvent, que cela le déchargerait d’une partie des desserts. En somme, leur petit monde est un lieu où s’entrecroisent leurs égoïsmes. Chacun veut tirer la couverture à soi et ne s’intéresse guère aux états d’âmes des autres. Pourtant, tous entretiennent la fiction d’une sorte de “famille” aux yeux des habitués. Ils ont l’air soudés et heureux de travailler ensemble, ce qui dans ce métier signifie en même temps passer le plus clair de leur temps dans cet espace relativement confiné.
De retour derrière le bar, Marlène voit apparaître le facteur et lui sert son verre de vin blanc matinal tandis qu’il dépose le courrier devant elle. Quelques factures et le journal local dont elle fait tout de suite sauter la bande d’adressage pour jeter un coup d’œil à la Une. Rien de bien nouveau. Le titre principal est sur la rentrée scolaire du jour. Pour le reste, quelques nouveaux détails sur l’éruption volcanique qui s’est produite au Cameroun il y a une semaine et dont les émanations de gaz toxique ont fait un peu plus de 1 700 morts. Le journal revient également sur le naufrage de l’Amiral Nakimov, paquebot soviétique qui a coulé en Mer du Noire après une collision avec un cargo à la fin du week-end, faisant 400 morts. Elle se moque un peu de tout ceci qui s’est produit au loin, mais elle sait que ces deux catastrophes alimenteront immanquablement les propos de comptoir de la journée. Elle essaye de se tenir au courant pour au moins faire semblant de s’intéresser aux conversations dans lesquelles les habitués cherchent à l’entraîner.
Voici qu’arrivent maintenant les premiers gamins en route pour le collège ou le lycée. Certains vont directement s’approvisionner en tabac, d’autres prennent place autour des tables en s’affalant sur les banquettes comme s’ils avaient déjà tout le poids de la journée sur les épaules. Le calme cesse au profit d’un brouhaha qui va aller en s’amplifiant. On entend le cliquetis du flipper que l’on vient de mettre en marche et dans l’arrière-salle c’est le baby-foot que l’on malmène.
— Les enfants, c’est le cas de le dire : les vacances sont finies ! Aujourd’hui, c’est la rentrée scolaire. On va recommencer à tourner à plein régime à partir de ce matin… lance Marlène.
— En place pour le quadrille ! répond Bruno avec ironie.
— Magnum, tu nous fais trois cafés s’il te plaît ! dit une grande fille rousse qu’il ne reconnaît pas sur l’instant. En voici une à qui l’été s’est montré profitable ; elle a pris à la fois formes et couleurs. Tout ceci la rend bien plus appétissante qu’il y a quelques semaines, pense le jeune homme.
Le Drakkar prend sa vitesse de croisière. Chacun est à son poste, paré à la manœuvre dans le calme comme dans la tempête. Rien ne manque, ni personne… Et pourtant si, il y a une place vide près de la baie vitrée qui donne sur la terrasse, ce guéridon auquel vient s’asseoir le même vieil homme, quatre fois par jours depuis dix ans. Il n’est pas là ce matin et personne n’a encore remarqué son absence, alors même que sa seule présence jette depuis si longtemps le trouble parmi la clientèle et suscite tant de rumeurs…

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