dimanche 18 novembre 2012

Féminin intempestif 1/4

I

Le premier incident survint lorsqu’il avait quatorze ans.
Ce jour-là, sa mère avait passé l’après-midi plongée dans “une montagne de repassage”, si absorbée par sa tâche qu’elle ne l’avait pas entendu revenir du collège. Aussi était-elle entrée dans sa chambre d’un pas ferme et décidé afin de ranger dans l’armoire le linge dont elle venait de s’occuper.
Habituellement, quand elle le savait à la maison, elle ne franchissait pas sa porte sans frapper et attendre d’être invitée à entrer.
Ce fut un instant terrible. D’abord pour elle, puis pour lui à quelques secondes d’intervalle.
Elle le découvrit, allongé entièrement nu sur son lit, occupé à se masturber avec une certaine frénésie. Elle en fut tellement saisie qu’elle resta quelques secondes interdite, sans réaction.
Christophe ne l’avait pas entendu entrer. Les yeux clos, tout son être était tendu, seulement attentif au plaisir qui montait en lui et ne tarderait pas à l’inonder.
— Oh ! finit-elle par s’exclamer avant de faire demi-tour, les bras toujours chargés de linge.
Le garçon fut coupé dans son élan, sauta du lit et se précipita pour fermer la porte laissée ouverte par sa mère dans sa fuite.
Des sentiments contradictoires l’assaillirent soudain, dans lesquels se mêlaient la honte et la révolte d’avoir été surpris dans cette posture et bien sûr la crainte de la réaction de sa mère.
Marie fut littéralement traumatisée par cet épisode et mit longtemps à s’en remettre. Elle fut souvent en proie à la vision de cette chose monstrueuse dressée entre les doigts de son fils. “Monstrueuse” non pas par la taille, ni dans un sens ni dans l’autre, mais parce que ce à quoi elle avait assisté était pour elle une abomination, un péché mortel. Et avant que qui que ce soit en meure, ce fut elle qui se retrouva mortifiée…
Il ne fut pas question de l’incident ce soir-là, non plus que les jours suivants. C’était une question dont il ne fallait pas parler. Chacun d’eux savait que l’autre l’avait vu, c’était suffisamment embarrassant comme cela.
Dans les semaines et les mois qui suivirent, Marie se surprit plus d’une fois à fouiller la chambre de son fils en y faisant le ménage, soulevant le matelas, ouvrant les tiroirs, regardant entre les piles de draps et de vêtements de l’armoire, à la recherche de magazines pornographiques ou de pages qui y auraient été découpées. Elle ne trouva rien de tel. Tout au plus nota-t-elle que les catalogues des 3 Suisses et de La Redoute traînaient souvent dans la chambre de Christophe sans bien comprendre pourquoi.
C’était une femme au cœur simple et droit, qui ne voyait le mal nulle part, à moins qu’on lui mette le nez dessus comme cela s’était produit cet après-midi-là.
Elle imagina donc que son garçon se plongeait dans ses catalogues de vente par correspondance à la recherche de nouveaux jeux vidéos pour compléter ceux qu’il possédait déjà pour sa console. Il ne lui vint pas à l’esprit que ce put être pour tout autre chose qu’il les feuilletait et n’eut pas l’occasion de s’apercevoir que certaines pages, consacrées à la lingerie de corps, étaient plus froissées que d’autres. Cette absence d’imagination lui permit de gagner quelques années de tranquillité. Heureux les cœurs purs…

Pour ce qui était de la pureté du cœur de Marie, il n’y avait pas le moindre doute à avoir. C’était à la fois un cœur pur et simple.
Elle était née à Saintes, dans une famille pieuse et pratiquante. Ses parents étaient de petites gens honnêtes et laborieux, soucieux de vivre dignement et de faire le bien autour d’eux autant qu’il leur était possible.
Sa sœur aînée et elle avaient eu une éducation stricte, basée sur les principes de la religion catholique. Toutes deux s’étaient toujours senties protégées et guidées par une présence immatérielle à leurs côtés. Elles puisaient dans la prière et l’encens la force d’affronter un monde qui se dérobait à elles, chargé de violences de toutes sortes.
Madeleine avait fini par prendre le voile, prononcer des vœux définitifs, et se cloîtrer à La Rochelle. Ce fut un drame familial. Ses parents, d’abord fiers de la piété de leurs enfants, prirent cette décision comme une épreuve, une punition que leur envoyait le Seigneur. Quelques semaines plus tôt, ils auraient volontiers glosé interminablement sur la perte des vocations, mais que leur fille aînée réponde à un tel appel ne pouvait être qu’un crève-cœur.
Lorsqu’ils comprirent que Marie s’engageait dans la même voie, ils firent tout ce qui était possible pour l’en détourner avec la complicité de son confesseur qui comprit que ce serait une épreuve insurmontable pour eux.
Le père Gabriel eut donc de longues conversations avec Marie. Il lui expliqua que sa place à elle était dans le siècle, qu’elle rencontrerait un homme avec qui elle se marierait et fonderait une famille, que ce serait sa façon de servir Dieu.
Lorsqu’elle fut plus ou moins convaincue, il lui présenta Joseph. Certes, il était plus âgé qu’elle, mais jouissait d’une bonne situation. Charpentier de formation, il était spécialisé dans les structures métalliques et sa bonne renommée lui faisait participer à des chantiers d’envergure un peu partout dans le monde.
Ils se marièrent et partirent pour Royan où Christophe vit le jour l’année suivante. Joseph était un homme attentionné pour autant qu’il était présent, ce qui était relativement rare. L’argent rentrait grâce à son travail. Ils n’étaient pas riches à proprement parler, mais n’avaient pas non plus le souci de la crainte du lendemain.
Lorsque Christophe entra à l’école, Marie prit un travail afin de fuir l’oisiveté. Elle se fit embaucher comme agent d’entretien dans l’école privée catholique à laquelle était inscrit l’enfant. C’était un moyen de n’en être pas complètement séparée.
La vie de la famille fut calquée sur le modèle de celle qu’elle avait connue avec ses propres parents. La religion y tenait une place prépondérante, les différents offices la rythmaient. Son fils et elle participaient activement aux activités paroissiales.

L’enfant avait grandi dans une sorte de cocon. Les longues absences répétées de son père avaient créé une grande complicité entre sa mère et lui.
Sérieux et travailleur, ses résultats scolaires faisaient de lui depuis toujours l’un des meilleurs élèves de sa classe. Situation dont ses parents étaient fiers mais à laquelle il ne prêtait pas d’attention particulière tant la vanité était un sentiment qui lui était totalement étranger. Il considérait de son devoir de bien travailler et accomplissait ce devoir en conséquence, cela n’allait pas plus loin.
C’était un garçon sociable, qui se liait facilement bien qu’il y eut constamment en lui une certaine réserve, l’instinct de préserver une part sinon secrète en tout cas intime, pudique.
Depuis quelques mois, un an environ, le jeune garçon avait fait une poussée de croissance vertigineuse. En même temps que ses membres s’allongeaient, il avait considérablement minci, perdant totalement un début d’embonpoint qui l’inquiétait beaucoup jusque-là.
Sa voix avait mué, mais de manière hésitante, restant bloquée entre deux registres. Cela donnait parfois des couacs ridicules qui le tétanisaient. Il avait dû, pour cette raison, renoncer à sa participation à la chorale de la paroisse dans laquelle il chantait avec bonheur depuis de longues années.
Son corps aussi avait changé, au-delà de l’allongement des bras et des jambes. Son sexe s’était transformé, paraissant à certains moments vouloir vivre une vie autonome. Des poils toujours plus denses avaient envahi certaines zones de ce corps, tout en épargnant le visage, comme si l’acné leur avait grillé la politesse. Ces maudits boutons purulents lui avaient posé d’énormes soucis pendant un temps ; lui causant un véritable malaise lorsqu’il croisait son image dans le miroir de la salle-de-bain, le matin en se débarbouillant. Mais ces temps derniers, l’éruption semblait perdre du terrain…

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