vendredi 25 décembre 2020

Je vous parle de mes nuits

D
ormir paraît être une chose si facile, tellement naturelle. Pour la majorité d’entre nous – des grasses matinées de l’enfance aux insomnies de l’âge, des plus longues aux plus courtes nuits – le sommeil réparateur, les rêves dont la conscience reste plus ou moins nette au lever, forment une sarabande continue de souvenirs – bons ou mauvais – qui s’oublient vite mais forment le terreau de la continuité des jours.

C’est du moins ainsi qu’il me plaît d’imaginer les choses car il m’est impossible d’en juger sur pièce, n’ayant jamais été un véritable dormeur.
Enfant, la survenue du sommeil me terrifiait, avec son cortège d’ombres et de fantômes, en ce qu’il représentait une possible entrée subreptice de la mort dans mon univers. Un fantasme – quoi d’autre ? – insinuant en moi l’idée qu’il puisse ne jamais y avoir de réveil au bout de la nuit. Je n’avais pas six ans et la mort m’était une angoisse insupportable, un mystère plus profond que Dieu lui-même. Dieu duquel je ne connaissais rien, auquel on ne m’avait pas préparé. Dieu qui m’aurait peut-être protégé de ma terreur en me rassurant sur la continuité et la nécessité des choses. Mon jeune âge était la chance qu’il n’a pas su saisir ; n’étais-je pas protégé alors des philosophes athées dont la pensée m’a enseigné bien plus tard ce qu’il y a de vain à trembler devant l’inéluctable au risque d’y perdre sa vie… je veux dire de passer à côté d’elle.
Je ne reconstitue rien à partir de souvenirs rapportés par mes parents ou mon frère. Les mots que je couche ici sont ma mémoire vive. Le traumatisme fut si profond qu’il ne me quittera jamais, bien que je ne sois plus aujourd’hui dans le même état d’esprit.
La mort, comme l’étendue insondable de l’univers m’était un questionnement vertigineux. Proprement, l’une et l’autre chose étaient la définition du vide, ou si l’on préfère de l’infini de ce trop-plein de rien, cette absence de tout. Moins encore que celle d’un homme, la conscience d’un enfant ne peut concevoir l’infini. J’allais dire « appréhender » mais c’était courir le risque du contresens. L’appréhension était tout à fait présente, résultant de l’incompréhension, de l’impossibilité de construire une image mentale satisfaisante pour représenter ce vide sans début ni fin. Cartésien sans le savoir, je voulais saisir comment le Tout pouvait tenir debout au milieu du Rien. Aussi loin que l’on repoussait les limites, on finirait par tomber sur un vide et dès lors rien ne tiendrait plus debout.

Je ne compensais pas mon manque de sommeil par de quelconques siestes réparatrices. L’idée de devoir dormir était à elle seule le meilleur moyen d’en chasser la réalisation. Ce fut un apprentissage sans douleur, une évolution naturelle qui se construisit en fond, à bas bruits, sans que je le veuille de façon consciente. Une chose dont on réalise soudain l’existence, la présence, bien longtemps après qu’elle se soit installée.
Certains hommes trompent leur femme ou l’ennui – d’aucuns crieront au pléonasme –, pour ma part j’ai très tôt eu l’intuition qu’il me fallait tromper le sommeil afin de lui interdire les angoisses. Il s’est très vite vengé en allant s’occuper de dormeurs plus dociles, me laissant face à une autre sorte de vide : les longues heures de solitude dans la maison endormie.
Ce que je perdais entre le crépuscule et l’aube, il n’était pas question de le récupérer par une quelconque sieste. L’angoisse ne venait pas du noir de la nuit mais de celui de mes pensées. Pour preuve, le peu de temps où je dormais nécessitait un noir absolu, des volets et rideau hermétiquement clos, la porte fermée et sans la moindre veilleuse dans la pièce. Un infime rai de lumière suffisait à engendrer des ombres, agiter des monstres qu’une imagination fertile voyait déjà fondre sur elle.
Je n’ai pas souvenir que mes parents ni mes nounous ne se soient opposés à cette liberté de jouer et babiller tranquillement plutôt que de dormir après le repas de midi. J’étais un enfant calme et solitaire, capable de s’occuper sans se montrer en perpétuelle sollicitation. Non pas un ange mais plutôt un démon atypique, dirons-nous.
Pour être honnête, il me faut confesser que j’avais une sorte de « coup de mou » vers dix-huit heures. C’était le moment où je réclamais un câlin. Bien installé sur les genoux et entre les bras maternels, je suçais mon pouce en clignant progressivement des yeux, sans toutefois aller jusqu’à l’endormissement. Le roman familial fait état d’un certain soir où ma mère eut du temps à me consacrer en avance sur le moment habituel. Elle me proposa de venir faire un câlin et je lui répliquais « non, ce n’est pas l’heure ! » Seul l’instinct parlait car l’anecdote se situe dans un temps où je n’avais pas la moindre notion de la façon dont les adultes parvenaient à déchiffrer les mouvements de sémaphores des aiguilles d’une montre – l’affichage « digital » n’était pas encore passé par là – ou d’une pendule. Elle se situe également au temps béni où je n’avais pas encore intégré le système scolaire…

Je ne connus pas de crèche et entrais directement à l’école maternelle à l’âge de trois ans. Il n’est pas certain que cet événement ne constitue pas le pire moment de ma vie.
Brutalement arraché à ma zone de confort, mis face à des règles que je ne comprenais pas toujours et jugeais vite absurdes ou vexatoires, j’essayais pourtant d’affirmer mes choix en me heurtant à des volontés plus puissantes et mieux organisées.
Jusqu’alors, on avait respecté mon abstinence siesteuse mais soudain je fus plongé dans un univers où la sieste était élevée au rang de dogme. Les institutrices et « dames de service » – telles qu’elles se nommaient joliment à l’époque – avaient-elles biberonné et mal digéré le Pernoud ? Avaient-elles dans l’idée que faire dormir toute une classe, c’est se dégager du temps pour des activités plus enrichissantes entre adultes ? Je parle ici du début des années soixante d’un siècle mort il y a vingt ans… Toujours est-il qu’elles avaient décidé que la sieste était obligatoire.

Comme Georges Perec, je me souviens…
Je me souviens de la petite école maternelle qui jouxtait l’école « des filles », les deux bâtiments s’adossant à l’école « des garçons » forcément plus importante. C’était dans une rue en pente, la maternelle était en haut, les filles en contrebas et les garçons dominaient l’ensemble avec une cour dont les claustras de béton permettaient aux élèves de garder à la fois un œil sur leurs petits frères et sur leurs sœurs même plus grandes. Ça ne s’invente pas, on ne peut que se remémorer en croyant remonter au Moyen Âge, même si ce n’est qu’à peine plus d’un demi-siècle.
Je me souviens des classes spacieuses en demi-rotonde ouvertes de grandes baies vitrées, de la cour goudronnée, des arbustes plantés sur le contrefort de la dénivellation, d’un bac à sable, d’un tourniquet…
Je me souviens surtout du dortoir. Une grande pièce sommaire meublée de lits de camp sortis tout droit d’un surplus de l’armée, pieds de bois blanc et grossière toile kaki.
Je me souviens de mon refus de dormir. Je m’asseyais sur la couche sommaire et inventais des personnages et des histoires que je me racontais à voix très basse, en deçà du chuchotement.
Je me souviens que mon attitude était jugée inacceptable. Il fallait mater la forte tête, la faire plier, l’obliger à la sieste commune et soi-disant réparatrice. Alors… oui, je sais, autres temps autres mœurs… on m’attachait sur le lit.
Je me souviens de la honte et de l’humiliation. Deux sentiments terribles qui m’ont poussé au silence et au refoulement. Je n’ai rien dit. J’ai serré les dents, voulu croire à ma force.
Je me souviens du nom de la « maîtresse » – si l’on se place dans une optique sadique, le mot n’était pas si mal choisi –, mais bien qu’elle soit morte depuis longtemps je le garderai pour moi, en moi, comme un ultime éclat de cette violence qui a tué pour moi tout espoir de sérénité dans un lit déserté par Morphée car depuis ce temps je fonctionne simplement : « un œil ouvert, un pied par terre. »
Je n’accuse pas la Maternelle d’être à l’origine de mes insomnies récurrentes – systémiques pour employer un mot très à la mode – puisqu’on a vu qu’elles préexistaient ; en revanche, j’affirme que je lui dois cette incapacité, ce handicap, qui m’empêche de tenir la position allongée lorsque je suis inactif.

Bien sûr, parler de ces choses-là après si longtemps relève d’une reconstitution fragmentaire et partiale autant que partielle. Des images se télescopent, des souvenirs s’entrechoquent. À quel endroit se situe la ligne de partage entre la vérité pure et une lente dilution ou, au contraire, une certaine sublimation de la mémoire ? Raconter cette vie insomniaque en quelques phrases, c’est nécessairement prendre des raccourcis, omettre des détails qui n’en sont peut-être pas. N’est-il pas possible, au fond, que des analyses psychologiques aient fait émerger davantage une explication rationnelle et rassurante à un phénomène naturel ? Et si nous avions simplement un capital sommeil comme un capital soleil, inégalement réparti entre chacun ? Ma peau trop blanche de roux tacheté ne supporte pas le soleil, il en va sans doute de même avec ma pauvre tête qui refuse l’absence, l’abstraction nécessaire du dormeur. Deux analyses de plusieurs années chacune n’ont rien tranché à ce sujet, mais est-ce un hasard si la seconde a commencé par une cure de sommeil de trois semaines ? Si nous voulons absolument que tout soit relié, qu’il y ait une explication à chaque chose, événement ou sentiment, alors nous ne pouvons nous dérober au final devant une forme de simplicité que nous pouvons prétendre « simpliste » afin de nous rassurer, nous dérober une fois encore.

Si mes nuits étaient déjà difficiles durant la petite enfance, c’est à l’entrée dans l’adolescence que les insomnies – faut-il vraiment utiliser le pluriel ou ne s’agit-il pas plutôt d’une seule, interminable, ontologique ? – devinrent chroniques. Disons à partir de quatorze ou quinze ans. Avant cela, j’ai le souvenir de nuits pleines, bien qu’elles fussent rares. Notamment, d’une dans une vieille maison cantalienne, à Saint-Flour, où j’avais partagé une paillasse avec mon frère ; un drap blanc garni de feuilles mortes sur lequel j’avais dormi comme un loir tandis qu’à mon côté mon frangin n’avait pu fermer l’œil à cause des crissements qui s’élevaient sitôt que l’un de nous bougeait.
Toute mon enfance, j’ai aimé les nids… paillasse, matelas défoncés sur lesquels je pouvais me recroqueviller en chien de fusil – position fœtale par excellence – en ramenant sur moi, de préférence, un lourd édredon de plumes pourtant tout à fait inadéquat à mon tempérament allergique. Il est évident que de devoir abandonner cela pour des matelas durs posés sur des sommiers à lattes modernes, des oreillers en mousse et de vagues « couettes » synthétiques n’a pas contribué pour rien à la fuite du peu de sommeil auquel j’aurais pu prétendre. Je n’avais pas le choix ; garder la plume, c’était à la fois dormir et mourir. La boucle était bouclée, qui donnait entièrement raison aux fantasmagories de ma petite enfance, qui me disaient intuitivement que m’abandonner au sommeil c’était m’offrir à la mort.

L’adolescence apporta son lot de questionnements et de mal-être qui vinrent se surajouter à un terrain déjà propice aux nuits blanches. Quand je ne fuyais pas le sommeil, c’est lui qui me tenait à distance.
Je couchais désormais dans un canapé convertible installé dans la bibliothèque de mon père, tandis que mon frère gardait le bénéfice de la chambre que nous avions partagée durant une dizaine d’années. C’est dans ce salon-bibliothèque qu’était installé le poste de télévision qu’une fois toute la maisonnée endormie j’allumais en baissant le son au maximum. L’oreille collée contre le haut-parleur, l’œil scrutant l’écran en diagonale, je regardais les émissions de fin de soirée. C’étaient les années soixante-dix et les programmes n’allaient pas très loin dans la nuit. Le confort était loin d’être celui que je connais aujourd’hui avec un casque sans fil sur la tête, face à l’écran et à une source inépuisable de replays qui me sont un pont entre hier et demain. Je me délectais alors, par exemple, devant « Apostrophes », l’émission littéraire de Bernard Pivot, ou le « Ciné-club » de Claude-Jean Philippe. C’est ainsi que s’est construite ma culture aussi brouillonne qu’éclectique.
C’est de ce moment-là que date mon attention particulière à veiller à faire le moins de bruits possible afin de préserver la nuit des dormeurs. La seule idée de tirer du sommeil qui que ce soit m’est insupportable. J’ai un respect presque mystique pour celles et ceux qui ont la capacité de s’oublier ainsi, de s’abstraire du monde pour quelques heures. Je ne les envie pas, je m’incline simplement devant une possibilité dont je suis incapable.
« Un œil ouvert, un pied par terre » disais-je. C’est sur ce principe que je sors du lit et quitte la chambre le plus doucement possible, refermant la porte derrière moi afin que ne parvienne ni lueur ni bruit qui viendrait troubler le sommeil de ma moitié. Cette « moitié » qui est la meilleure part de moi-même, celle qui dort et ne se laisse pas envahir par des angoisses malignes, des rêves chaotiques, et qui est capable de replonger dans les profondeurs de l’oubli de soi en cas de réveil intempestif.
Longtemps, j’ai eu une vie décalée. Je profitais du jour pour faire toutes sortes d’activités tandis que la majorité de mes contemporains était au travail et, la nuit venue – après deux ou trois heures d’un assoupissement plus ou moins profond – je me mettais à travailler. De l’avantage d’être à son compte et de pouvoir organiser sa journée. Pour mes clients mon travail comptait davantage que le moment où je le faisais, tant que je respectais les délais.
Un mystère subsistera jusqu’à la fin, c’est que je me sois si peu montré un oiseau de nuit, fréquentant les boîtes jusqu’au petit matin. Il me semble que cela résultait du pli solitaire que j’avais pris au long de mes vingt premières années. Si certains éprouvent le besoin de s’étourdir d’alcool, de drogues, de fumée et de bruit à la nuit tombée, pour ma part j’y ai toujours goûté une certaine qualité de silence propre à une quiétude particulière et vivifiante.
Il ne s’agit pas de me poser en saint prétentieux, j’ai fréquenté des clubs où j’étais suffisamment connu pour trouver un verre de Gin Tonic posé sur le zinc devant moi sans avoir à le commander, fumé cigarette sur cigarette, dragué et tiré des coups sans lendemain – surtout sans passer la nuit – sniffé de la coke une fois où deux en passant, comme tout le monde mais aussi moins que tout le monde.
Plus sagement, j’ai contemplé mes amours endormies à mes côtés, abandonnées à un repos qui n’était pas pour moi. Je regardais sans toucher, retenant mon souffle et mes désirs de caresses. Il y avait dans ces moments-là un mélange de bonheur et de douleur, une conscience de fruit défendu. Veiller l’amour endormi est un acte d’une sensualité formidable ; on sent notre cœur battre un peu plus fort, excité par un plaisir presque pervers devant cette tête oubliée sur l’oreiller, ce corps détendu et souvent offert dans une passivité incongrue que l’on devine délicieuse… Vous qui dormez si bien, du sommeil du juste, avez-vous jamais imaginé ce qui peut passer par la tête de celui qui vous regarde sans un mot, sans un bruit ?

Régulièrement j’ai essayé de lutter contre ces insomnies en testant toutes sortes de tisanes, potions, gélules et cachets. Sans grand succès, il faut l’avouer. Pas plus de chimie efficace à long terme que de plantes miraculeuses. Parfois j’arrive à une amélioration sur soixante-douze heures et je ne sais jamais si c’est le médicament qui est efficace ou l’accumulation du retard de sommeil qui m’assomme pour quelques heures. La plupart du temps je ne prends rien car la somnolence secondaire est incompatible avec l’organisation de mes journées sans commune mesure avec l’effet bénéfique sur mes nuits.
Le corps s’habitue à tout, aussi mon inconfort nocturne est-il à sa façon une forme de confort qui participe à la sorte d’équilibre autour duquel ma vie s’organise tant bien que mal. Je ne me plains de rien, je me borne à constater les faits en même temps que leur constance. L’insomnie chronique est un entraînement, une longue course de fond qui vous épuise en même temps qu’elle vous galvanise. Ainsi, les fois où il m’arrive de succomber à l’appel de la sieste avec le poids de l’âge, si je me laisse aller plus d’un quart d’heure, j’en sors plus épuisé que d’une longue nuit de veille. On perd le goût des choses à force de s’en tenir à l’écart.
Le principal inconvénient à mes nuits blanches, c’est mon incapacité à passer la nuit sans grignoter. Cela devient catastrophique lorsque l’on me prescrit un bilan sanguin ; l’exécution de l’ordonnance peut prendre des mois car il faut savoir trouver le jour de semaine où j’arrive à rester au lit suffisamment tard afin qu’il n’y ait pas trop à attendre l’ouverture du laboratoire. Rester à jeun jusqu’à sept heures lorsque je suis debout depuis minuit est au-dessus de mes forces. Mon médecin a fini par se faire à la situation, d’autant qu’il est incapable d’y remédier.

Hier soir, après avoir regardé un DVD sur le téléviseur de la chambre, confortablement allongés sur le lit, nous avons éteint la lumière pour dormir aux alentours de vingt heures trente.
J’ai tout de suite senti que je ne réussirai pas à m’endormir. J’ai tourné dans les draps à la recherche d’une meilleure position, bien qu’il ne fît aucun doute que mes tentatives se montreraient vaines. Une heure plus tard, n’y tenant plus, je me suis levé pour gagner la pièce à vivre. Celle dans laquelle je me trouve en ce moment, à écrire cette histoire. Mon histoire.
Les rites nocturnes sont les mêmes d’un jour sur l’autre. La seule variante notable en est l’heure à laquelle commence ma journée. J’allume la télé, la box et le décodeur. Je branche le casque et le mets sur ma tête, puis je sélectionne une chaîne d’information en continu pour voir ce qu’il peut y avoir de nouveau dans le monde. S’il n’y a rien de spécial, je pioche au hasard des chaînes les séries ou reportages proposés en replay pour combler les heures.
Au bout de deux heures, la faim se faisant sentir, je passe dans le coin cuisine pour mettre du pain à griller, sors un ramequin dans lequel je verse un fond de crème fraîche, un peu de sel et de poivre, de la moutarde ou du concentré de tomates selon l’humeur, de l’oignon et de l’ail déshydratés, des herbes au gré de mon inspiration, un peu de parmesan ou d’emmental râpé… je casse un œuf en réservant le jaune et je bats le blanc avec les autres ingrédients dans le ramequin avant de le déposer dans le four micro-ondes pour cinquante secondes. Je ressors le ramequin, dépose le jaune d’œuf au centre en le perçant de la pointe d’un couteau et relance la cuisson pour dix secondes supplémentaires. Je mets ce temps à profit pour me servir un verre de vin rosé, sortir la tranche de pain grillé, découper une feuille de papier absorbant et attraper une cuillère à café. Le « Cling » retentit alors et je n’ai plus qu’à petit-déjeuner tranquillement avant de retrouver le canapé pour continuer à regarder mon programme ou lire l’un des ouvrages que j’ai en cours.
Mes nuits sans sommeil ne sont donc pas si terribles qu’il faille m’en plaindre. Elles sont simplement une autre façon de vivre. Une sorte de vie parallèle, toute simple et sage, dans laquelle j’attends que le jour et l’être aimé se lèvent avec la promesse d’autres fêtes.

Avec un peu de chance, il m’arrive de piquer du nez entre cinq et six, mais ce ne sera pas le cas aujourd’hui car, paradoxalement, vous parler de mes nuits m’a tenu éveillé et si cela vous a fait bâiller, puis bercé au point de vous endormir, alors mon but est atteint. Je suis le marchand de sable qui ne dort pas, un grain de schiste coincé dans le goulot d’étranglement entre le jour et la nuit d’un sablier sans cesse renversé : une courte pause – microscopique – entre les deux. Né sous le signe du Bélier, je possède en fait un cerveau de poisson qui m’empêche de couler et me noyer dans mon sommeil.
Un jour – ou peut-être une nuit – la mort m’emportera pour un long sommeil qui effacera toute cette fatigue accumulée que je ne regrette pas car, au fond, j’aurais vécu – eu la conscience de vivre – plus longtemps que bien d’autres.

Toulouse, 22-24 décembre 2020

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