Cela lui arrachait le cœur, cependant force était de reconnaître que c’était François qui lui avait présenté Yves et son compagnon, même s’il avait occulté ce souvenir. Le fait de n’en conserver aucune mémoire ne le rendait hélas en rien caduc !
Ils s’étaient retrouvés, à quelque temps de là, dans une brasserie à deux pas de la Caserne Champerret. Malgré l’heure avancée du début d’après-midi, le premier s’était attablé devant une cuisse de canard confite accompagnée de frites croustillantes et d’un demi de bière blonde, tandis que le second lui tenait compagnie devant un « galopin », ce qui était somme toute une annonce programmatique.
Michel se trouvait à Paris pour honorer un engagement pris de longue date d’accompagner François pour une série de rendez-vous professionnels. De son côté, Yves admit très vite qu’il s’était organisé un week-end dans la capitale à ce même moment en parfaite connaissance de cause et que, pour tout dire, son véritable but était de le rejoindre pour tenter sa chance en terrain neutre. Il lui proposa de passer la soirée et la nuit ensemble, cependant Michel lui remontra que la chose était impossible ; il ne pouvait pas s’éclipser ainsi, reniant la parole qu’il avait donnée d’être présent jusqu’au bout, bien qu’il en mourût d’envie.
Ceci se passait le vendredi 11 février 2011, quatre mois après que Michel eût officiellement quitté François pour vivre seul. Un concours de circonstances – la livraison tardive d’une voiture neuve alors que l’ancienne était à la casse – avait fait qu’ils cohabitaient à nouveau depuis quelques semaines dans la maison qu’ils avaient partagée jusqu’à leur rupture, chacun ayant désormais sa chambre et Michel utilisant le véhicule de François autant que de besoin.
Une sorte d’équilibre fragile s’était établi entre eux. François avait proposé cet arrangement dans le but de reconquérir son amant, moins par désir réel que pour une question d’ego. Michel avait accepté parce qu’il ne pouvait rester deux mois sans moyen de locomotion, sans aucune intention de céder aux avances d’un « ex » qu’il avait vu venir à des kilomètres. La précarité de sa situation n’entrait pas pour rien dans son refus d’une escapade parisienne en compagnie d’Yves qui se montra compréhensif autant que déçu, sans pour autant s’avouer vaincu.
Dès le lundi, il lui envoya des SMS enflammés et finit par l’appeler au téléphone le lendemain afin de lui dire à quel point il avait besoin d’entendre sa voix et brûlait d’envie de le voir, le prendre dans ses bras, lui montrer que l’amour était possible.
Michel freinait des quatre fers. Pour de multiples mauvaises raisons. D’abord parce qu’il ne voulait pas que François soit au courant d’une éventuelle liaison entre eux, connaissant son pouvoir de nuisance et sa facilité à tout abîmer. Ensuite, et dans cet ordre, parce qu’il savait qu’Yves était déjà en couple. Enfin, parce qu’il ne croyait plus pouvoir trouver l’amour et pensait avoir besoin d’un temps de solitude salutaire, se contentant de satisfactions sexuelles rapides et sans lendemain qui déchantent.
Ce fut François qui lui força la main, en quelque sorte. C’était bien sûr un calcul de sa part. Yves avait été son amant, il avait tenté en vain de le retenir dans ses filets et il voyait dans une liaison entre eux une manière de garder un ascendant sur les deux. C’était cousu de fil blanc, d’un fil si épais qu’il aurait été impossible de ne pas le remarquer. Yves et Michel décidèrent de jouer le jeu en pipant les dés.
Le jeudi soir, ils se retrouvèrent en ville tous les trois dans un bar de nuit où François avait ses habitudes. Ils burent une coupe de champagne ensemble, discutant de choses et d’autres, puis Yves déclara qu’il lui fallait rentrer parce qu’il était fatigué de sa journée de travail. Michel proposa de le reconduire afin qu’il ne fasse pas de mauvaise rencontre en chemin ; il reviendrait chercher François plus tard dans la soirée, puisque celui-ci avait un rendez-vous ici même.
Toute la scène s’était jouée d’un ton détaché, chacun évitant soigneusement le moindre sous-entendu. Puis, les deux conspirateurs étaient sortis, laissant là un François qui ne put s’empêcher de leur lancer un pitoyable et perfide « vous devriez vous arrêter pour prendre un dernier verre en chemin ! » Ce qui était bien leur intention dès le départ.
Ne rêvant que d’une solitude propice aux caresses qui les démangeaient et aux baisers qui brûlaient leurs lèvres de désir, ne sachant où aller, Michel entraîna son compagnon dans la boîte gay où celui-ci avait fait la connaissance de François six mois plus tôt.
Ils burent chacun un gin tonic au comptoir, soudain emprunts d’une sorte de timidité, ne se parlant pas mais se dévorant des yeux. Puis ils descendirent au sous-sol, cherchèrent un box libre dans le labyrinthe de la backroom où ils pourraient donner libre cours à l’expression de leurs sens enflammés.
Ils eurent la chance de le trouver assez vite. C’était celui où trônait une banquette ronde dont ils n’eurent aucune utilité. À peine la porte refermée, Yves plaqua Michel contre le mur et se mit à le dévorer de baisers profonds et goulus, tandis que ses mains semblaient vouloir découvrir l’ensemble de son corps comme un aveugle cherchant à faire connaissance avec quelqu’un en lisant les traits de son visage. Il y avait incontestablement quelque chose d’aveugle dans cette scène, au-delà du fait qu’elle se déroulait dans un noir quasi total.
Abandonnant toute la retenue qu’il s’était efforcé de conserver jusque-là, Michel dégrafa à tâtons le ceinturon de son compagnon, fit sauter le bouton du pantalon et ceux de la braguette, dégagea le membre turgescent qui ne demandait qu’à s’évader du boxer tendu à craquer et l’emboucha avec délices. Yves se dégagea un peu plus tard pour lui rendre la pareille puis, parce qu’on l’en implorait, retourna son compagnon et le plaqua face contre le mur tout en le pénétrant avec une force frénétique. Il n’avait eu que le temps d’enfiler un préservatif et ne s’était pas soucié de trouver un sachet de gel lubrifiant, mais la brûlure de la pénétration sembla bien douce à celui qui la recevait…
La livraison de sa voiture intervenant une semaine plus tard, Michel put réintégrer son petit appartement en compagnie de sa chienne golden retriever qui venait d’avoir dix mois. François l’avait incité à l’adopter au début de juillet en pensant que ce serait un moyen de le retenir auprès de lui, à une époque où le processus de séparation se profilait avec une insistance grandissante. Il l’avait appelée Orphée en référence à sa passion pour l’œuvre de Jean Cocteau, mais un de ses amis qui connaissait bien sa situation avait émis l’hypothèse que ce nom avait été choisi afin qu’elle le sorte de l’enfer. Ce qui n’était pas faux.
Le fait de regagner sa totale indépendance eut pour conséquence immédiate de permettre à leur liaison naissante de se développer plus sereinement que s’ils avaient dû la cantonner à des étreintes dans des lieux sordides tel qu’au premier soir. Yves et lui se retrouvaient désormais chaque vendredi, ou presque, et passaient ensemble une journée de plaisirs entre la table et le lit. Cela dura des semaines, des mois, deux années…
Ce n’était pas une relation cachée. Le compagnon d’Yves était au courant de tout, les rejoignait parfois afin de dîner avec eux le vendredi soir avant de ramener celui-ci chez eux.
Cela aurait pu n’être qu’une banale liaison adultère. C’est sans doute ainsi qu’elle s’engagea, Yves n’envisageant pas de quitter l’homme avec lequel il avait déjà partagé vingt ans de vie commune. C’est en tout cas ainsi que Michel voyait se profiler les choses. Pour lui, ce qu’ils vivaient était un ensemble de moments précieux, plaisants, torrides, enthousiasmants, mais hors du temps, sans perspective ; c’est ce qui l’avait rassuré et amené à répondre aux avances de son amant, car tel était bien le statut d’Yves auprès de lui. Échaudé par son expérience avec François, marqué par le souvenir de tous les châteaux en Espagne qu’il avait cru bâtir avec d’autres garçons tout au long de sa vie, il ne croyait plus en la possibilité de construire une belle histoire sans fin, de réaliser le rêve du prince charmant de son enfance, tendre et protecteur, fidèle et invincible…
Cette relation naissante, qui s’édifiait pas à pas, changea leurs habitudes. Yves cessa de fréquenter les lieux où il allait chercher bonne fortune lorsque sa libido réclamait un peu d’attention et Michel n’alla plus dans les bars gays, les boîtes, les saunas ou les lieux de rencontres en bord du fleuve. Cela se fit sans même qu’ils y réfléchissent ou en parlent entre eux. Cette nouvelle attitude s’installa comme une évidence. Et il arriva un moment – au vrai très rapidement – où Michel dut convenir avec lui même qu’il était farouchement attaché à Yves et que cela s’appelait tout simplement l’amour.
Cette nouvelle donnée eut pour conséquence qu’ils décidèrent de faire tous les tests sérologiques nécessaires afin de se rassurer mutuellement et d’abandonner l’usage du préservatif. C’était une chose à laquelle ils tenaient tous les deux, non seulement parce que les sensations étaient surmultipliées sans cette barrière de latex, mais parce que cela scellait un engagement indestructible entre eux.
La première fois qu’Yves le prit sans capote fut un véritable voyage de sensations pour Michel, qui gardait les yeux clos de plaisir et de confiance, d’abandon total. Lui qui était sans cesse sur le qui-vive, dans le contrôle, ne se laissait jamais aller autant qu’entre les bras de son amant. Il s’était retrouvé propulsé sous les voûtes de la grande audience du Palais des papes en Avignon, où il avait cru être heureux dix ans auparavant. Mais ce n’était plus son compagnon de l’époque qui était à ses côtés, c’était bien Yves. Chaque coup de boutoir enfonçait cette évidence.
Ils s’étaient retrouvés, à quelque temps de là, dans une brasserie à deux pas de la Caserne Champerret. Malgré l’heure avancée du début d’après-midi, le premier s’était attablé devant une cuisse de canard confite accompagnée de frites croustillantes et d’un demi de bière blonde, tandis que le second lui tenait compagnie devant un « galopin », ce qui était somme toute une annonce programmatique.
Michel se trouvait à Paris pour honorer un engagement pris de longue date d’accompagner François pour une série de rendez-vous professionnels. De son côté, Yves admit très vite qu’il s’était organisé un week-end dans la capitale à ce même moment en parfaite connaissance de cause et que, pour tout dire, son véritable but était de le rejoindre pour tenter sa chance en terrain neutre. Il lui proposa de passer la soirée et la nuit ensemble, cependant Michel lui remontra que la chose était impossible ; il ne pouvait pas s’éclipser ainsi, reniant la parole qu’il avait donnée d’être présent jusqu’au bout, bien qu’il en mourût d’envie.
Ceci se passait le vendredi 11 février 2011, quatre mois après que Michel eût officiellement quitté François pour vivre seul. Un concours de circonstances – la livraison tardive d’une voiture neuve alors que l’ancienne était à la casse – avait fait qu’ils cohabitaient à nouveau depuis quelques semaines dans la maison qu’ils avaient partagée jusqu’à leur rupture, chacun ayant désormais sa chambre et Michel utilisant le véhicule de François autant que de besoin.
Une sorte d’équilibre fragile s’était établi entre eux. François avait proposé cet arrangement dans le but de reconquérir son amant, moins par désir réel que pour une question d’ego. Michel avait accepté parce qu’il ne pouvait rester deux mois sans moyen de locomotion, sans aucune intention de céder aux avances d’un « ex » qu’il avait vu venir à des kilomètres. La précarité de sa situation n’entrait pas pour rien dans son refus d’une escapade parisienne en compagnie d’Yves qui se montra compréhensif autant que déçu, sans pour autant s’avouer vaincu.
Dès le lundi, il lui envoya des SMS enflammés et finit par l’appeler au téléphone le lendemain afin de lui dire à quel point il avait besoin d’entendre sa voix et brûlait d’envie de le voir, le prendre dans ses bras, lui montrer que l’amour était possible.
Michel freinait des quatre fers. Pour de multiples mauvaises raisons. D’abord parce qu’il ne voulait pas que François soit au courant d’une éventuelle liaison entre eux, connaissant son pouvoir de nuisance et sa facilité à tout abîmer. Ensuite, et dans cet ordre, parce qu’il savait qu’Yves était déjà en couple. Enfin, parce qu’il ne croyait plus pouvoir trouver l’amour et pensait avoir besoin d’un temps de solitude salutaire, se contentant de satisfactions sexuelles rapides et sans lendemain qui déchantent.
Ce fut François qui lui força la main, en quelque sorte. C’était bien sûr un calcul de sa part. Yves avait été son amant, il avait tenté en vain de le retenir dans ses filets et il voyait dans une liaison entre eux une manière de garder un ascendant sur les deux. C’était cousu de fil blanc, d’un fil si épais qu’il aurait été impossible de ne pas le remarquer. Yves et Michel décidèrent de jouer le jeu en pipant les dés.
Le jeudi soir, ils se retrouvèrent en ville tous les trois dans un bar de nuit où François avait ses habitudes. Ils burent une coupe de champagne ensemble, discutant de choses et d’autres, puis Yves déclara qu’il lui fallait rentrer parce qu’il était fatigué de sa journée de travail. Michel proposa de le reconduire afin qu’il ne fasse pas de mauvaise rencontre en chemin ; il reviendrait chercher François plus tard dans la soirée, puisque celui-ci avait un rendez-vous ici même.
Toute la scène s’était jouée d’un ton détaché, chacun évitant soigneusement le moindre sous-entendu. Puis, les deux conspirateurs étaient sortis, laissant là un François qui ne put s’empêcher de leur lancer un pitoyable et perfide « vous devriez vous arrêter pour prendre un dernier verre en chemin ! » Ce qui était bien leur intention dès le départ.
Ne rêvant que d’une solitude propice aux caresses qui les démangeaient et aux baisers qui brûlaient leurs lèvres de désir, ne sachant où aller, Michel entraîna son compagnon dans la boîte gay où celui-ci avait fait la connaissance de François six mois plus tôt.
Ils burent chacun un gin tonic au comptoir, soudain emprunts d’une sorte de timidité, ne se parlant pas mais se dévorant des yeux. Puis ils descendirent au sous-sol, cherchèrent un box libre dans le labyrinthe de la backroom où ils pourraient donner libre cours à l’expression de leurs sens enflammés.
Ils eurent la chance de le trouver assez vite. C’était celui où trônait une banquette ronde dont ils n’eurent aucune utilité. À peine la porte refermée, Yves plaqua Michel contre le mur et se mit à le dévorer de baisers profonds et goulus, tandis que ses mains semblaient vouloir découvrir l’ensemble de son corps comme un aveugle cherchant à faire connaissance avec quelqu’un en lisant les traits de son visage. Il y avait incontestablement quelque chose d’aveugle dans cette scène, au-delà du fait qu’elle se déroulait dans un noir quasi total.
Abandonnant toute la retenue qu’il s’était efforcé de conserver jusque-là, Michel dégrafa à tâtons le ceinturon de son compagnon, fit sauter le bouton du pantalon et ceux de la braguette, dégagea le membre turgescent qui ne demandait qu’à s’évader du boxer tendu à craquer et l’emboucha avec délices. Yves se dégagea un peu plus tard pour lui rendre la pareille puis, parce qu’on l’en implorait, retourna son compagnon et le plaqua face contre le mur tout en le pénétrant avec une force frénétique. Il n’avait eu que le temps d’enfiler un préservatif et ne s’était pas soucié de trouver un sachet de gel lubrifiant, mais la brûlure de la pénétration sembla bien douce à celui qui la recevait…
La livraison de sa voiture intervenant une semaine plus tard, Michel put réintégrer son petit appartement en compagnie de sa chienne golden retriever qui venait d’avoir dix mois. François l’avait incité à l’adopter au début de juillet en pensant que ce serait un moyen de le retenir auprès de lui, à une époque où le processus de séparation se profilait avec une insistance grandissante. Il l’avait appelée Orphée en référence à sa passion pour l’œuvre de Jean Cocteau, mais un de ses amis qui connaissait bien sa situation avait émis l’hypothèse que ce nom avait été choisi afin qu’elle le sorte de l’enfer. Ce qui n’était pas faux.
Le fait de regagner sa totale indépendance eut pour conséquence immédiate de permettre à leur liaison naissante de se développer plus sereinement que s’ils avaient dû la cantonner à des étreintes dans des lieux sordides tel qu’au premier soir. Yves et lui se retrouvaient désormais chaque vendredi, ou presque, et passaient ensemble une journée de plaisirs entre la table et le lit. Cela dura des semaines, des mois, deux années…
Ce n’était pas une relation cachée. Le compagnon d’Yves était au courant de tout, les rejoignait parfois afin de dîner avec eux le vendredi soir avant de ramener celui-ci chez eux.
Cela aurait pu n’être qu’une banale liaison adultère. C’est sans doute ainsi qu’elle s’engagea, Yves n’envisageant pas de quitter l’homme avec lequel il avait déjà partagé vingt ans de vie commune. C’est en tout cas ainsi que Michel voyait se profiler les choses. Pour lui, ce qu’ils vivaient était un ensemble de moments précieux, plaisants, torrides, enthousiasmants, mais hors du temps, sans perspective ; c’est ce qui l’avait rassuré et amené à répondre aux avances de son amant, car tel était bien le statut d’Yves auprès de lui. Échaudé par son expérience avec François, marqué par le souvenir de tous les châteaux en Espagne qu’il avait cru bâtir avec d’autres garçons tout au long de sa vie, il ne croyait plus en la possibilité de construire une belle histoire sans fin, de réaliser le rêve du prince charmant de son enfance, tendre et protecteur, fidèle et invincible…
Cette relation naissante, qui s’édifiait pas à pas, changea leurs habitudes. Yves cessa de fréquenter les lieux où il allait chercher bonne fortune lorsque sa libido réclamait un peu d’attention et Michel n’alla plus dans les bars gays, les boîtes, les saunas ou les lieux de rencontres en bord du fleuve. Cela se fit sans même qu’ils y réfléchissent ou en parlent entre eux. Cette nouvelle attitude s’installa comme une évidence. Et il arriva un moment – au vrai très rapidement – où Michel dut convenir avec lui même qu’il était farouchement attaché à Yves et que cela s’appelait tout simplement l’amour.
Cette nouvelle donnée eut pour conséquence qu’ils décidèrent de faire tous les tests sérologiques nécessaires afin de se rassurer mutuellement et d’abandonner l’usage du préservatif. C’était une chose à laquelle ils tenaient tous les deux, non seulement parce que les sensations étaient surmultipliées sans cette barrière de latex, mais parce que cela scellait un engagement indestructible entre eux.
La première fois qu’Yves le prit sans capote fut un véritable voyage de sensations pour Michel, qui gardait les yeux clos de plaisir et de confiance, d’abandon total. Lui qui était sans cesse sur le qui-vive, dans le contrôle, ne se laissait jamais aller autant qu’entre les bras de son amant. Il s’était retrouvé propulsé sous les voûtes de la grande audience du Palais des papes en Avignon, où il avait cru être heureux dix ans auparavant. Mais ce n’était plus son compagnon de l’époque qui était à ses côtés, c’était bien Yves. Chaque coup de boutoir enfonçait cette évidence.
*
L’eau coule encore. Est-ce vraiment dans la salle de bains ? Cela ne vient-il pas plutôt du dehors ? car Yves a toujours eu l’habitude d’économiser l’eau de ses douches…
Il faudrait se lever, aller vérifier qu’il ne lui est rien arrivé. Mais Michel sait bien que ce n’est pas le cas. Les choses ne se passeront pas ainsi, c’est la petite sorcière danseuse de tango qui le leur a dit il y a si longtemps : « vous mourrez dans les bras l’un de l’autre. L’un fermera les yeux de l’autre. » Et si elle n’a pas voulu dire lequel, lui a toujours su que c’est Yves qui lui fermerait les yeux comme une promesse de poursuite du bonheur, comme lui-même les a toujours clos dans l’intensité de leurs étreintes, avec cette foi qu’il ne pouvait l’emmener que vers une promesse de paradis dans lequel ni la terre ni le ciel n’ont à voir.
Leurs étreintes… C’était la première fois que Michel avait vu un de ses partenaires remettre constamment en cause des habitudes ancrées depuis si longtemps que chacun les aurait pensées immuables. Comment le dire autrement, sinon qu’ils avaient sans cesse réinventé l’amour et la passion, explorant des sensations qu’ils avaient parfois boudées sans même chercher à les découvrir. Et cela s’était fait sans parole ni concertation, au feeling. L’un se découvrait une envie, la mettait en œuvre et observait la réaction de l’autre pour suivre sur ses traits autant que sur sa peau la progression et l’intensité de son plaisir ; l’excitant ou le ralentissant selon le cas, portant tous ses sens à l’incandescence et le libérant soudain dans un feu d’artifice final dont parfois les draps faisaient les frais.
Yves, qui n’avait été qu’actif toute sa vie, eut envie de se faire pénétrer. Expérience un peu douloureuse au départ mais si plaisante qu’il y prit goût au point d’y revenir régulièrement. De même, il mena avec Michel sa première fellation aboutie, bien qu’une fois la bouche remplie il se précipita aux toilettes pour recracher le sperme qu’il ne pouvait avaler et cela devint un rituel entre eux. Michel, pour sa part, était spermophage et se moquait gentiment de lui lorsque le jet était si fort qu’il ne pouvait complètement le bloquer au fond de sa bouche.
Yves introduisit des jeux de rôles dans leurs ébats, jouant tantôt les infirmiers, tantôt les camionneurs ou les policiers. Il aimait se déguiser. Michel, qui n’avait jamais fait cela, ne dédaigna pas en retour tenter le travesti à renfort de bas résille, de sous-vêtements de dentelles et de robes longues ou de jupes courtes.
Ce n’était pas systématique, cela arrivait de temps en temps quand l’un désirait surprendre l’autre, mettre une dose d’insouciance ludique dans des ébats d’une telle intensité qu’ils confinaient à la gravité. Oui, c’est cela, leurs corps-à-corps relevaient du sérieux de l’amour qui les liait et lorsqu’ils faisaient l’amour c’était une célébration de la force de leurs sentiments. C’est en tout cas ainsi que Michel avait toujours vu les choses. Les milliers d’hommes à qui il avait prêté son corps ne représentaient rien en regard de celui à qui il avait fini par le donner. L’acte sexuel sans amour est un repas sans appétit ; le corps y prend sa part en dehors de l’esprit, il y manque la dimension essentielle.
L’année 2013 fut celle de grands changements. Début juillet, Michel acheta l’appartement voisin, un peu plus vaste, mieux agencé et bénéficiant d’un jardin plus grand que celui qu’il louait, et le jour de la Toussaint Yves fut prié par son compagnon de boucler ses valises afin de quitter définitivement les lieux. Ce fut un congédiement brutal et sans explication, qui laissa pantois tout leur entourage.
S’il avait pu prévoir ce qui allait se produire, Michel aurait acheté un appartement avec une pièce supplémentaire. Néanmoins il proposa à Yves de venir s’installer avec lui. Celui-ci refusa pour de multiples raisons, au rang desquelles un désir d’avoir un appartement à lui, duquel on ne risquait pas de pouvoir le chasser à tout instant. Ensuite, il avait une petite caniche noire répondant au nom de Chicorée, dont il assurerait la garde les week-ends et une partie des vacances ; il ne voulait pas courir le risque d’une cohabitation compliquée avec Orphée, même si les deux chiennes se connaissaient et semblaient faire bon ménage.
Le fait d’avoir chacun leur appartement, d’y vivre seuls et sans attache, renforça leur relation. Désormais, ils n’avaient plus à se cantonner aux vendredis et quand l’un trouvait à faire garder son animal, il pouvait aller passer la nuit chez l’autre. Ce fut une autre organisation, qui marqua une nette progression dans leur amour déjà profond.
Michel proposa le mariage à Yves, qui le refusa. La demande venait sans doute trop tôt, alors que la blessure cruelle du congédiement était encore à vif. Après tout, l’équilibre qu’ils avaient trouvé ensemble, passant du temps tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, restant pour la nuit chaque fois que c’était possible, était un arrangement qui leur convenait parfaitement, un cocon dans lequel couver leur bonheur à l’abri des regards malveillants et cancaniers des collègues d’Yves ou des voisins de Michel qui avaient l’habitude de voir sa femme et ses enfants venir déjeuner chez lui chaque samedi, dans les rires et la bonne humeur.
À la mort de Chicorée, Yves consenti à libérer l’appartement qu’il louait depuis deux ans et à venir s’installer avec Michel qui insista sur le fait qu’il s’agissait de vivre « avec » et non « chez » lui. Il sentait bien que son compagnon gardait un fond de réticence qui n’était pas sans rapport avec la façon dont on l’avait chassé d’un appartement qu’il avait entretenu durant vingt ans.
La cohabitation au quotidien était une étape importante, l’ultime test – s’il en était besoin – qui confirmerait la solidité de leur couple. Ce fut un succès total. Une nouvelle vie s’ouvrait devant eux, une vie à deux. Michel avait dit : « Je veux vivre à tes côtés et non pas à côté de toi comme l’a fait ton ex toutes ces années. »
Michel, qui était toujours marié pour des raisons fiscales, expliqua à Yves qu’il divorcerait à l’instant où celui-ci accepterait sa demande en mariage et qu’il n’avait pas de vœu plus cher que de l’épouser, aussi attendrait-il le temps qu’il le faudrait, avec confiance et sans jamais se résigner à un refus définitif.
Ils commencèrent à voyager ensemble. Michel fit connaître à Yves Biarritz et la côte basque et en retour son compagnon l’entraîna dans des périples plus lointains, du nord au sud, d’Amsterdam à Saint-Jacques-de-Compostelle, de Strasbourg à Nice, de Lisieux à Lourdes, de Bruxelles aux Canaries.
Ils avaient eu la chance de trouver un couple de retraités pour garder Orphée le temps de leurs escapades.
Yves avait ses habitudes sur l’île de Tenerife, il y entraîna Michel afin de lui faire découvrir ce petit coin de paradis et qu’il en tombe amoureux à son tour. Ce fut le cas et ainsi germa et grandit l’idée en eux qu’ils iraient s’y installer définitivement dès que possible. En attendant, ils iraient y passer leurs vacances chaque année, en juin quand l’affluence n’est pas encore insupportable, encore qu’en ce point précis du globe elle soit quasi inexistante.
Il faudrait se lever, aller vérifier qu’il ne lui est rien arrivé. Mais Michel sait bien que ce n’est pas le cas. Les choses ne se passeront pas ainsi, c’est la petite sorcière danseuse de tango qui le leur a dit il y a si longtemps : « vous mourrez dans les bras l’un de l’autre. L’un fermera les yeux de l’autre. » Et si elle n’a pas voulu dire lequel, lui a toujours su que c’est Yves qui lui fermerait les yeux comme une promesse de poursuite du bonheur, comme lui-même les a toujours clos dans l’intensité de leurs étreintes, avec cette foi qu’il ne pouvait l’emmener que vers une promesse de paradis dans lequel ni la terre ni le ciel n’ont à voir.
Leurs étreintes… C’était la première fois que Michel avait vu un de ses partenaires remettre constamment en cause des habitudes ancrées depuis si longtemps que chacun les aurait pensées immuables. Comment le dire autrement, sinon qu’ils avaient sans cesse réinventé l’amour et la passion, explorant des sensations qu’ils avaient parfois boudées sans même chercher à les découvrir. Et cela s’était fait sans parole ni concertation, au feeling. L’un se découvrait une envie, la mettait en œuvre et observait la réaction de l’autre pour suivre sur ses traits autant que sur sa peau la progression et l’intensité de son plaisir ; l’excitant ou le ralentissant selon le cas, portant tous ses sens à l’incandescence et le libérant soudain dans un feu d’artifice final dont parfois les draps faisaient les frais.
Yves, qui n’avait été qu’actif toute sa vie, eut envie de se faire pénétrer. Expérience un peu douloureuse au départ mais si plaisante qu’il y prit goût au point d’y revenir régulièrement. De même, il mena avec Michel sa première fellation aboutie, bien qu’une fois la bouche remplie il se précipita aux toilettes pour recracher le sperme qu’il ne pouvait avaler et cela devint un rituel entre eux. Michel, pour sa part, était spermophage et se moquait gentiment de lui lorsque le jet était si fort qu’il ne pouvait complètement le bloquer au fond de sa bouche.
Yves introduisit des jeux de rôles dans leurs ébats, jouant tantôt les infirmiers, tantôt les camionneurs ou les policiers. Il aimait se déguiser. Michel, qui n’avait jamais fait cela, ne dédaigna pas en retour tenter le travesti à renfort de bas résille, de sous-vêtements de dentelles et de robes longues ou de jupes courtes.
Ce n’était pas systématique, cela arrivait de temps en temps quand l’un désirait surprendre l’autre, mettre une dose d’insouciance ludique dans des ébats d’une telle intensité qu’ils confinaient à la gravité. Oui, c’est cela, leurs corps-à-corps relevaient du sérieux de l’amour qui les liait et lorsqu’ils faisaient l’amour c’était une célébration de la force de leurs sentiments. C’est en tout cas ainsi que Michel avait toujours vu les choses. Les milliers d’hommes à qui il avait prêté son corps ne représentaient rien en regard de celui à qui il avait fini par le donner. L’acte sexuel sans amour est un repas sans appétit ; le corps y prend sa part en dehors de l’esprit, il y manque la dimension essentielle.
L’année 2013 fut celle de grands changements. Début juillet, Michel acheta l’appartement voisin, un peu plus vaste, mieux agencé et bénéficiant d’un jardin plus grand que celui qu’il louait, et le jour de la Toussaint Yves fut prié par son compagnon de boucler ses valises afin de quitter définitivement les lieux. Ce fut un congédiement brutal et sans explication, qui laissa pantois tout leur entourage.
S’il avait pu prévoir ce qui allait se produire, Michel aurait acheté un appartement avec une pièce supplémentaire. Néanmoins il proposa à Yves de venir s’installer avec lui. Celui-ci refusa pour de multiples raisons, au rang desquelles un désir d’avoir un appartement à lui, duquel on ne risquait pas de pouvoir le chasser à tout instant. Ensuite, il avait une petite caniche noire répondant au nom de Chicorée, dont il assurerait la garde les week-ends et une partie des vacances ; il ne voulait pas courir le risque d’une cohabitation compliquée avec Orphée, même si les deux chiennes se connaissaient et semblaient faire bon ménage.
Le fait d’avoir chacun leur appartement, d’y vivre seuls et sans attache, renforça leur relation. Désormais, ils n’avaient plus à se cantonner aux vendredis et quand l’un trouvait à faire garder son animal, il pouvait aller passer la nuit chez l’autre. Ce fut une autre organisation, qui marqua une nette progression dans leur amour déjà profond.
Michel proposa le mariage à Yves, qui le refusa. La demande venait sans doute trop tôt, alors que la blessure cruelle du congédiement était encore à vif. Après tout, l’équilibre qu’ils avaient trouvé ensemble, passant du temps tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, restant pour la nuit chaque fois que c’était possible, était un arrangement qui leur convenait parfaitement, un cocon dans lequel couver leur bonheur à l’abri des regards malveillants et cancaniers des collègues d’Yves ou des voisins de Michel qui avaient l’habitude de voir sa femme et ses enfants venir déjeuner chez lui chaque samedi, dans les rires et la bonne humeur.
À la mort de Chicorée, Yves consenti à libérer l’appartement qu’il louait depuis deux ans et à venir s’installer avec Michel qui insista sur le fait qu’il s’agissait de vivre « avec » et non « chez » lui. Il sentait bien que son compagnon gardait un fond de réticence qui n’était pas sans rapport avec la façon dont on l’avait chassé d’un appartement qu’il avait entretenu durant vingt ans.
La cohabitation au quotidien était une étape importante, l’ultime test – s’il en était besoin – qui confirmerait la solidité de leur couple. Ce fut un succès total. Une nouvelle vie s’ouvrait devant eux, une vie à deux. Michel avait dit : « Je veux vivre à tes côtés et non pas à côté de toi comme l’a fait ton ex toutes ces années. »
Michel, qui était toujours marié pour des raisons fiscales, expliqua à Yves qu’il divorcerait à l’instant où celui-ci accepterait sa demande en mariage et qu’il n’avait pas de vœu plus cher que de l’épouser, aussi attendrait-il le temps qu’il le faudrait, avec confiance et sans jamais se résigner à un refus définitif.
Ils commencèrent à voyager ensemble. Michel fit connaître à Yves Biarritz et la côte basque et en retour son compagnon l’entraîna dans des périples plus lointains, du nord au sud, d’Amsterdam à Saint-Jacques-de-Compostelle, de Strasbourg à Nice, de Lisieux à Lourdes, de Bruxelles aux Canaries.
Ils avaient eu la chance de trouver un couple de retraités pour garder Orphée le temps de leurs escapades.
Yves avait ses habitudes sur l’île de Tenerife, il y entraîna Michel afin de lui faire découvrir ce petit coin de paradis et qu’il en tombe amoureux à son tour. Ce fut le cas et ainsi germa et grandit l’idée en eux qu’ils iraient s’y installer définitivement dès que possible. En attendant, ils iraient y passer leurs vacances chaque année, en juin quand l’affluence n’est pas encore insupportable, encore qu’en ce point précis du globe elle soit quasi inexistante.
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