Si l’assistante sociale m’avait donné des pistes pour trouver l’aide dont j’avais besoin, elle m’avait ensuite lâché dans la nature afin que je m’y débrouille seul. Ce que j’avais déjà mis en place par moi-même avait dû la rassurer quant à mes capacités à gérer cela.
Le tour des aides financières avait été vite fait : rien. Ma mère avait eu une longue carrière dans l’administration et bénéficiait une retraite de cadre moyen qui était suffisante au regard des critères d’attribution. Sa retraite était honnête – et elle ne l’avait pas volée – pour vivre normalement, mais la dépendance a un coût exorbitant. Je l’ai dit, elle n’aurait pu se payer une place dans une maison de retraite que de moyenne catégorie. Toutefois, pour cela il aurait fallu vendre l’appartement afin de supprimer toute autre charge.
Le premier écueil fut l’absence de son médecin traitant. La clinique avait délivré une ordonnance pour quinze jours et au moment de la renouveler, celui-ci était introuvable. Il avait eu un accident de moto quelques années plus tôt et était reparti pour un cycle de chirurgie. Trouver un médecin qui veuille bien venir à domicile semblait un problème insurmontable, il était l’un des derniers à accepter de le faire sur de longues distances ; son cabinet se trouvant au centre-ville et l’appartement de ma mère à la Côte Pavée.
Par chance, ma mère et moi connaissions bien les pharmaciens du quartier, aussi avons-nous pu nous faire avancer les médicaments. Il y en avait certains qu’elle ne pouvait arrêter un seul jour et prenait depuis des années.
Au bout d’un mois, ayant réussi à joindre ledit médecin, nous étions convenus que je lui glisse la copie de l’ordonnance dans la boîte aux lettres de son domicile privé afin qu’il m’en fasse parvenir une nouvelle.
Il revint la voir de loin en loin, puis décida un jour que ce n’était plus tenable pour lui. Il faisait ses visites domiciliaires à vélo et n’en pouvait plus de fatigue ; l’avenue Jean Rieux n’étant pas une côte particulièrement facile.
Je comprenais sa situation, cependant je lui demandais de trouver lui-même un confrère qui prendrait le relais, en qui il aurait toute confiance. Mais ma demande resta lettre morte. Je trouvais par moi-même un praticien à cinq cents mètres de chez ma mère, qui accepta de s’occuper d’elle après que je sois aller lui expliquer la situation à son cabinet un vendredi matin. Il vint la voir le lundi matin suivant. Nous nous étions donnés rendez-vous à la première heure, afin d’être certains qu’elle entendrait l’interphone et lui ouvrirait. Ils ont eu un très bon contact. Il l’a auscultée minutieusement, lui a fait des compliments sur sa santé au regard de son grand âge, puis il lui a prescrit un bilan sanguin complet avant de lui renouveler les remèdes dont elle avait besoin. « Je reviendrai vous voir dans trois semaines, dit-il en partant, à moins que vous ne m’appeliez d’ici-là. » C’est la seule et unique fois qu’ils se sont rencontrés. La nuit suivante, ma mère tomba une fois de trop.
Huit jours avant le décès de sa patiente, je retournais le voir afin qu’il signe les papiers pour le renouvellement de la location du lit médicalisé. Nous eûmes à cette occasion une discussion franche et il me dit clairement qu’une femme de cet âge, après une opération du col du fémur, si elle ne remarchait pas dans les quarante-huit heures n’avait guère d’espoir que les choses s’arrangent. En tout état de cause, elle en était rendue à un point où un placement était inévitable, sauf à avoir les moyens de payer du personnel à domicile vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce qui était bien évidemment exclu une fois fait le calcul !
Notre mère était morte depuis bientôt une semaine lorsque mon frère arriva tôt le matin, ayant voyagé par le train de nuit, la veille des obsèques. Le reste de sa famille ferait le trajet par la route et devait arriver le lendemain en milieu de matinée.
J’allais l’attendre à la gare. Comme j’avais un peu d’avance, j’ai fait un tour au Relais H et trouvé Décadence de Michel Onfray. Je me disais que j’aurai désormais davantage de temps pour lire, tout en me demandant si j’en aurai le goût. La lecture est un bon refuge, à condition toutefois que la pensée ne soit pas trop fuyante.
Nous avons ensuite perdu la matinée chez le notaire où nous avions rendez-vous pour l’ouverture de la succession, celui-ci étant arrivé avec trois quarts d’heure de retard… pour cause de panne de trottinette électrique. Nous avions apporté tous les documents, y compris la copie de la succession de mon père, réglée par le notaire de Beaumont-de-Lomagne. Le terrain était donc bien déblayé, pour une succession qui s’annonçait fort simple.
Ensuite, nous avons déjeuné ensemble à la maison, de deux grandes pizzas achetées au passage chez Jacky, arrosées d’une bouteille de rosé vénitien.
L’après-midi, tandis que je me consacrais à un rendez-vous professionnel, Claude est allé à la Caisse d’Épargne et à la GMF pour se renseigner sur les modalités de récupération de l’argent des assurances vie à nos deux noms, puis il a pris un rendez-vous pour le lendemain matin avec l’agence immobilière du coin de la rue afin de faire évaluer la valeur de l’appartement.
Autant la succession en elle-même et les assurances vie ne m’effrayaient pas, autant cet appartement était devenu ma hantise depuis des mois et des mois. Je savais que le plus gros restait à faire : vider entièrement les lieux pour le jour de la vente. Cette tâche me semblait insurmontable, à tel point que cela m’avait déclenché une crise d’angoisse nocturne lors d’un week-end à Amsterdam avec Yves, la panique qui s’était alors emparée de moi avait bien failli me pousser à me jeter par la fenêtre du troisième étage pour échapper à cela.
Comment faire le tri dans toutes ces affaires, celles de mon père auxquelles personne n’avait touché, celles de ma mère et aussi les miennes qui étaient restées là-bas toutes ces années ? Chaque objet touché, chaque vêtement manipulé, le moindre bibelot ou tableau sur les murs, tout était chargé de tant de souvenirs. Et puis, il y avait aussi la question insoluble de la place nécessaire pour accueillir tout ce que j’aurais pu vouloir sauver. Non, tout cela était réellement au-dessus de mes forces !
J’avais prévenu mon frère depuis quelque temps déjà, qu’avec sa famille ils prennent tout ce qui les intéressait ; mais qu’ils le fassent rapidement parce qu’après je commanderai une benne et y jetterai tout le reste. Où caser toutes ces choses dans mon deux pièces déjà meublé ?
Ma mère était au courant du fait que nous ne pourrions pas tout garder ; j’avais essayé de lui dire toutes ces choses avec le maximum de tact possible, mais je pense qu’elle espérait que nous conserverions le maximum de meubles. C’est en tout cas ce qu’indique le testament qu’elle a laissé, dans lequel elle procède à une répartition équitable entre ses deux fils.
Dans les derniers temps, lorsque nous parlions librement de cet aspect de la situation après son départ, elle avait insisté plusieurs fois pour que je lui promette de sauver sa « négresse », une statuette africaine représentant une femme portant une cruche sur sa tête, que j’avais toujours connue trônant sur le buffet du salon, à Vanves comme à Toulouse. Je ne sais pourquoi elle y tenait tant. Elle y attachait manifestement une grande valeur sentimentale. Dans quelle circonstance en était-elle entrée en possession ? Le mystère restera à jamais entier. La statuette se trouve sur ma bibliothèque.
Il faudrait pouvoir hériter lorsque l’on ne possède rien à soi ; après, ce qui nous échoit est le plus souvent davantage un encombrement qu’autre chose.
On ne se soucie guère, habituellement, des détails de l’organisation d’une cérémonie d’obsèques. Il n’y a que lorsque nous sommes confrontés à la situation que nous prenons conscience de la multitude de choses auxquelles nous devons penser et que nous devons faire.
J’avais déjà dû choisir d’habiller ou non la défunte, puis le lieu où elle attendrait qu’une place fût disponible dans le planning du crématorium, de même qu’on m’avait demandé de décider de la composition du coussin de fleurs fraîches… Pour cela, j’avais dit que l’on utilise des fleurs rouges et orangées de préférence, en évitant la couleur rose qu’elle n’aimait pas particulièrement.
Maintenant, le jour était arrivé. Il y aurait la mise en bière à onze heures, à la Maison funéraire, avec l’apposition des scellés par la police ; puis la cérémonie civile au crématorium à midi quarante-cinq et le départ du cercueil vingt minutes plus tard. J’avais gravé un CD pour la musique et une copie sur une clé USB par sécurité. On m’avait demandé si l’un de nous voudrait prendre la parole ou dire un texte, mais j’avais décliné l’offre après consultation de mes proches. L’ordonnatrice dirait quelques mots ; elle en avait l’habitude.
Par expérience, nous savions que la crémation durerait quatre-vingt-dix minutes, alors nous avons décidé d’occuper ce temps en proposant aux personnes présentes de partager une flûte de champagne et des petits-fours – sans jeu de mots – à la mémoire de ma mère ; à cet effet, nous avions convié tout le monde à ne pas apporter de fleurs, mais plutôt une bouteille de brut. Pour que maman soit avec nous, j’avais tiré et encadré une photo d’elle, prise par Yaël, où on la voit brandir une flûte aux deux tiers vide, prise le jour de son quatre-vingt-quatorzième anniversaire. Ceux qui la connaissaient ne pouvaient être choqués par cette idée.
Dans la circonstance, le lieu étant le même, comment n’aurais-je pas pensé aux obsèques de mon père ? J’avais alors tout fait pour que la cérémonie soit privée et réduite à la famille proche. Mon père avait eu une retraite très active dans diverses associations de généalogie et je redoutais une présence massive avec d’interminables condoléances que ma mère n’aurait pas supportées. Devoir serrer des mains, écouter une litanie de lieux communs maladroits… ajouter de l’horreur à la peine. J’y étais quasiment parvenu.
Pour ma mère, comme elle était très âgée et relativement isolée depuis des années, la question ne s’était pas posée pour moi. Je m’attendais à un nombre de participants très restreint, or je fus un peu surpris par l’affluence. En même temps, je dois reconnaître que ma situation personnelle fait que je possède deux belles-familles, ce qui élargissait le cercle des personnes désireuses de m’entourer dans cette épreuve. Et puis, il fut un temps où ma mère participait aux repas et sorties de groupe que nous organisions avec Yaël et certains voulaient montrer qu’ils s’en souvenaient. Fernanda avait tenu à venir avec son mari, pour un dernier adieu à celle avec qui elle avait passé tant d’heures complices.
Je ne me souviens plus des paroles prononcées par l’ordonnatrice, les ai-je seulement entendues ? Elle parlait sans micro, d’une voix fluette. Il me revient qu’elle m’a demandé ce qu’il fallait faire du coussin de fleur. Il n’y aurait pas moyen de l’accrocher à la stèle, voulions-nous qu’il parte avec le cercueil ou bien que chacun en détache une fleur pour la déposer sur la bière ? J’ai opté pour la seconde solution. Je déteste l’idée des fleurs coupées, alors en faire une composition pour l’envoyer dans un four chauffé entre 850 et 1 000 °C me révolte !
Avant l’escamotage du cercueil, il y eut un moment de recueillement au son d’un enregistrement de l’Adagio d’Albinoni, interprété – comme je l’ai précisé – à la trompette par le père d’Yves. J’avais choisi ce morceau pour deux raisons, la première étant que c’est une œuvre que j’avais souvent écoutée avec ma mère en voiture, lorsque nous allions nous promener à la nuit tombante autour de Beaumont, la seconde était d’associer l’artiste à la famille. Il était visiblement très ému, et du départ de ma mère qu’il connaissait peu, et de s’entendre à ce moment-là.
Pour le « pot de départ » qui suivait, j’avais choisi un programme musical éclectique, n’hésitant pas à faire se côtoyer des chansons légères avec d’autres plus sérieuses. J’avais notamment découvert un petit bijou de Petula Clark : Tout le monde veut aller au Ciel… [mais personne ne veut mourir], cependant je pense que personne n’y a véritablement prêté attention. Chacun un verre dans la main, des petits groupes se sont formés et il y a vite eu un léger brouhaha comme on peut en entendre dans les vernissages et manifestations de ce style.
Je ne crois ni à Dieu ni à diable, mais si toutefois il existe un autre monde duquel ma mère a pu assister à cette scène, alors je n’ai aucun doute sur le fait qu’elle devait être contente que les choses se déroulent ainsi.
À l’issue de la crémation, nous étions convenus avec les pompes funèbres de nous rejoindre à seize heures au cimetière de Pouvourville, sur la colline de Rangueil, où l’on avait finalement trouvé une place pour l’inhumation.
Tandis que les amis qui étaient venus à la cérémonie se dispersaient et que la sœur d’Yves raccompagnait leur père, la famille s’est réunie chez Yaël pour attendre l’heure.
Depuis la fin de matinée, Yves et moi étions véhiculés par la marraine de Kévin, qui est également notre voisine. Je ne me sentais pas capable de conduire, ayant l’esprit totalement ailleurs ; quant à Yves, voilà plus de vingt ans qu’il n’a pas tenu un volant.
Je me disais que tout serait bientôt terminé et cette pensée m’était d’un grand réconfort. Les morts ont quelque chose d’encombrant. De fait, ils ne sont plus là tout en occupant beaucoup de place. Cette observation n’a rien de cynique et ne se veut que pragmatique. Si nous voulons bien oublier une seconde les convenances, nous sommes bien obligés d’en arriver à cette terrible conclusion. C’est pourquoi je ne cesse de répéter, depuis la mort de mon père, que je souhaite que personne n’assiste à ma crémation et que l’on se contente au mieux d’aller récupérer l’urne pour en disperser les cendres ou les enfouir dans un endroit que j’aimais, si la chose est encore possible à ce moment-là.
Mes proches sont horrifiés par cette demande toute simple et me disent qu’ils auront besoin d’assister à mes obsèques, que ce sera un passage obligé pour faire leur deuil. Pour ma part, il me semble que j’ai un rapport beaucoup plus simple avec la mort : celle-ci signifie la fin brutale de la vie et donc l’inexistence ; dans ces conditions, il n’est plus rien que l’on puisse faire ou dire qui ait de l’importance pour la personne qui n’est plus. Les animaux sont bien plus pragmatiques que nous, confrontés à la mort de leurs congénères ; il est vrai aussi qu’ils ne sont pas pris à la gorge par un système économique qui fait feu de tout bois et organise la marchandisation de toute chose. Derrière le regard social que beaucoup d'entre nous redoutent, se cache un enjeu d’argent. Et l’économie de la mort est un marché juteux ! Face à la peine et au désir de bien faire, les vautours sont là pour vous vendre des fioritures et accessoires aussi onéreux qu’inutiles. Nombreux sont ceux qui s’y laissent prendre, de peur de passer pour des pingres ou des sans-cœur. Il y a aussi ceux qui organisent eux-mêmes leurs futures obsèques dans le but de s’assurer qu’elles seront dignes de la haute opinion qu’ils se font d’eux, mus par le désir de paraître une dernière fois, avant de disparaître à tout jamais… Ce n’était bien évidemment pas le cas de ma mère, qui avait tenu à faire les choses simplement et avec goût, ce qui était en somme sa marque de fabrique.
Nous arrivions au cimetière lorsque mon téléphone portable sonna. C’était l’ordonnatrice qui appelait pour savoir où je me trouvais car elle avait à m’entretenir d’un problème de dernière minute. Comme nous étions en train de nous garer, elle m’indiqua qu’elle se portait à ma rencontre à l’entrée principale. Je n’avais pas la moindre idée de ce qu’elle me voulait, ni du genre d’imprévu qui pouvait se produire à ce stade de sa prestation. Pour tout dire, je n’étais guère en état de faire fonctionner mon imagination sur ce point.
Tandis que j’avançais vers elle, je voyais que la jeune femme avait quelque chose de différent. Son sourire commercial avait l’air contrit et son regard reflétait une certaine anxiété. Avant même que j’aie pu lui demander ce qu’il se passait, elle se lança dans une longue phrase précipitée, comme on se jette à l’eau en se demandant si l’on saura nager, si l’on sera sauvé. De ce long discours, il ressortait que l’inhumation était impossible en raison d’une incompatibilité entre l’urne et la stèle. « Venez vous rendre compte par vous-même », m’invita-t-elle devant mon incrédulité. Et, ce disant, elle m’entraîna un peu plus loin, devant le mur funéraire.
La famille était restée au portail, assistant de loin à notre conciliabule et se demandant ce que nous pouvions avoir à nous dire. J’avais simplement fait un geste dans leur direction pour leur signifier d’attendre.
Je me retrouvais face au mur de briques qui longe la rue où nous étions stationnés. Un de ces vieux murs, larges, épais, fait de briques du pays à l’ancienne, plus ou moins carrées et plates, d’environ cinq centimètres d’épaisseur. L’urne de ma mère était posée là, dans une encoignure, à côté d’une niche bétonnée. Il y avait de quoi se montrer incrédule, en effet. L’urne qui tenait dans l’épaisseur du mur n’entrait pas dans la case qui lui avait été désignée !
L’ordonnatrice se tenait à côté de moi, légèrement en retrait, et me répétait que c’était la première fois qu’elle se trouvait confrontée à un tel problème, mais qu’une solution allait être trouvée. Je répondis que la plus évidente aurait consisté à changer d’urne, mais que c’était bien celle-ci qui avait été choisie par la défunte de nombreuses années auparavant, que je ne pensais pas qu’elle exista en plusieurs tailles et qu’en outre le transvasement des cendres poserait certainement un souci juridique. Elle me confirma tout ceci et proposa que la famille se recueille une nouvelle fois devant l’urne pendant qu’elle rappelait son patron.
J’étais tellement abasourdi par cette situation ubuesque, que j’avais du mal à garder mon sérieux. Je pensais que ma mère devait bien rire de ce tour ultime qu’elle nous jouait. J’éprouvais en même temps une certaine compassion pour l’employée des pompes funèbres, qui redoutait que je prenne fort mal la situation et m’en prenne à elle. Or, j’étais d’un calme olympien qui ne me ressemblait guère, ce que tout le monde remarqua et me fit observer par la suite. Je la rassurais en disant qu’elle n’était en rien responsable mais que je me demandais comment il était possible, dans une Europe qui légifère et impose des normes sur la courbure du concombre, personne n’ait pensé à s’assurer de la compatibilité des urnes commercialisées avec les cases qui leur sont destinées, et réciproquement.
Nous nous recueillîmes une dernière fois au son de l’Adagio, après que j’eus expliqué la situation à tout le monde ; puis l’ordonnatrice annonça que la case allait être revendue et qu’une case double serait achetée, à la place. Cela allait prendre quelques jours, mais elle s’occupait de tout et sans supplément. Elle me demanda si je voulais garder l’urne entre-temps, ce que je refusais pour deux raisons : d’abord pour la forcer à activer les choses, ensuite parce que je me souvenais de l’odeur de cendres tièdes qui avait durablement imprégné ma voiture lorsque j’avais transporté l’urne de mon père jusqu’à Beaumont pour l’y enterrer.
Pendant la vingtaine de minutes que nous avions passée dans ce cimetière, deux avions gros-porteurs l’avaient survolé à ras des tombes ou presque. Nous fûmes tous d’accord pour dire que c’était une bonne chose pour le repos de ma mère qu’elle ne puisse rester là, en définitive.
Le tour des aides financières avait été vite fait : rien. Ma mère avait eu une longue carrière dans l’administration et bénéficiait une retraite de cadre moyen qui était suffisante au regard des critères d’attribution. Sa retraite était honnête – et elle ne l’avait pas volée – pour vivre normalement, mais la dépendance a un coût exorbitant. Je l’ai dit, elle n’aurait pu se payer une place dans une maison de retraite que de moyenne catégorie. Toutefois, pour cela il aurait fallu vendre l’appartement afin de supprimer toute autre charge.
Le premier écueil fut l’absence de son médecin traitant. La clinique avait délivré une ordonnance pour quinze jours et au moment de la renouveler, celui-ci était introuvable. Il avait eu un accident de moto quelques années plus tôt et était reparti pour un cycle de chirurgie. Trouver un médecin qui veuille bien venir à domicile semblait un problème insurmontable, il était l’un des derniers à accepter de le faire sur de longues distances ; son cabinet se trouvant au centre-ville et l’appartement de ma mère à la Côte Pavée.
Par chance, ma mère et moi connaissions bien les pharmaciens du quartier, aussi avons-nous pu nous faire avancer les médicaments. Il y en avait certains qu’elle ne pouvait arrêter un seul jour et prenait depuis des années.
Au bout d’un mois, ayant réussi à joindre ledit médecin, nous étions convenus que je lui glisse la copie de l’ordonnance dans la boîte aux lettres de son domicile privé afin qu’il m’en fasse parvenir une nouvelle.
Il revint la voir de loin en loin, puis décida un jour que ce n’était plus tenable pour lui. Il faisait ses visites domiciliaires à vélo et n’en pouvait plus de fatigue ; l’avenue Jean Rieux n’étant pas une côte particulièrement facile.
Je comprenais sa situation, cependant je lui demandais de trouver lui-même un confrère qui prendrait le relais, en qui il aurait toute confiance. Mais ma demande resta lettre morte. Je trouvais par moi-même un praticien à cinq cents mètres de chez ma mère, qui accepta de s’occuper d’elle après que je sois aller lui expliquer la situation à son cabinet un vendredi matin. Il vint la voir le lundi matin suivant. Nous nous étions donnés rendez-vous à la première heure, afin d’être certains qu’elle entendrait l’interphone et lui ouvrirait. Ils ont eu un très bon contact. Il l’a auscultée minutieusement, lui a fait des compliments sur sa santé au regard de son grand âge, puis il lui a prescrit un bilan sanguin complet avant de lui renouveler les remèdes dont elle avait besoin. « Je reviendrai vous voir dans trois semaines, dit-il en partant, à moins que vous ne m’appeliez d’ici-là. » C’est la seule et unique fois qu’ils se sont rencontrés. La nuit suivante, ma mère tomba une fois de trop.
Huit jours avant le décès de sa patiente, je retournais le voir afin qu’il signe les papiers pour le renouvellement de la location du lit médicalisé. Nous eûmes à cette occasion une discussion franche et il me dit clairement qu’une femme de cet âge, après une opération du col du fémur, si elle ne remarchait pas dans les quarante-huit heures n’avait guère d’espoir que les choses s’arrangent. En tout état de cause, elle en était rendue à un point où un placement était inévitable, sauf à avoir les moyens de payer du personnel à domicile vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce qui était bien évidemment exclu une fois fait le calcul !
Notre mère était morte depuis bientôt une semaine lorsque mon frère arriva tôt le matin, ayant voyagé par le train de nuit, la veille des obsèques. Le reste de sa famille ferait le trajet par la route et devait arriver le lendemain en milieu de matinée.
J’allais l’attendre à la gare. Comme j’avais un peu d’avance, j’ai fait un tour au Relais H et trouvé Décadence de Michel Onfray. Je me disais que j’aurai désormais davantage de temps pour lire, tout en me demandant si j’en aurai le goût. La lecture est un bon refuge, à condition toutefois que la pensée ne soit pas trop fuyante.
Nous avons ensuite perdu la matinée chez le notaire où nous avions rendez-vous pour l’ouverture de la succession, celui-ci étant arrivé avec trois quarts d’heure de retard… pour cause de panne de trottinette électrique. Nous avions apporté tous les documents, y compris la copie de la succession de mon père, réglée par le notaire de Beaumont-de-Lomagne. Le terrain était donc bien déblayé, pour une succession qui s’annonçait fort simple.
Ensuite, nous avons déjeuné ensemble à la maison, de deux grandes pizzas achetées au passage chez Jacky, arrosées d’une bouteille de rosé vénitien.
L’après-midi, tandis que je me consacrais à un rendez-vous professionnel, Claude est allé à la Caisse d’Épargne et à la GMF pour se renseigner sur les modalités de récupération de l’argent des assurances vie à nos deux noms, puis il a pris un rendez-vous pour le lendemain matin avec l’agence immobilière du coin de la rue afin de faire évaluer la valeur de l’appartement.
Autant la succession en elle-même et les assurances vie ne m’effrayaient pas, autant cet appartement était devenu ma hantise depuis des mois et des mois. Je savais que le plus gros restait à faire : vider entièrement les lieux pour le jour de la vente. Cette tâche me semblait insurmontable, à tel point que cela m’avait déclenché une crise d’angoisse nocturne lors d’un week-end à Amsterdam avec Yves, la panique qui s’était alors emparée de moi avait bien failli me pousser à me jeter par la fenêtre du troisième étage pour échapper à cela.
Comment faire le tri dans toutes ces affaires, celles de mon père auxquelles personne n’avait touché, celles de ma mère et aussi les miennes qui étaient restées là-bas toutes ces années ? Chaque objet touché, chaque vêtement manipulé, le moindre bibelot ou tableau sur les murs, tout était chargé de tant de souvenirs. Et puis, il y avait aussi la question insoluble de la place nécessaire pour accueillir tout ce que j’aurais pu vouloir sauver. Non, tout cela était réellement au-dessus de mes forces !
J’avais prévenu mon frère depuis quelque temps déjà, qu’avec sa famille ils prennent tout ce qui les intéressait ; mais qu’ils le fassent rapidement parce qu’après je commanderai une benne et y jetterai tout le reste. Où caser toutes ces choses dans mon deux pièces déjà meublé ?
Ma mère était au courant du fait que nous ne pourrions pas tout garder ; j’avais essayé de lui dire toutes ces choses avec le maximum de tact possible, mais je pense qu’elle espérait que nous conserverions le maximum de meubles. C’est en tout cas ce qu’indique le testament qu’elle a laissé, dans lequel elle procède à une répartition équitable entre ses deux fils.
Dans les derniers temps, lorsque nous parlions librement de cet aspect de la situation après son départ, elle avait insisté plusieurs fois pour que je lui promette de sauver sa « négresse », une statuette africaine représentant une femme portant une cruche sur sa tête, que j’avais toujours connue trônant sur le buffet du salon, à Vanves comme à Toulouse. Je ne sais pourquoi elle y tenait tant. Elle y attachait manifestement une grande valeur sentimentale. Dans quelle circonstance en était-elle entrée en possession ? Le mystère restera à jamais entier. La statuette se trouve sur ma bibliothèque.
Il faudrait pouvoir hériter lorsque l’on ne possède rien à soi ; après, ce qui nous échoit est le plus souvent davantage un encombrement qu’autre chose.
On ne se soucie guère, habituellement, des détails de l’organisation d’une cérémonie d’obsèques. Il n’y a que lorsque nous sommes confrontés à la situation que nous prenons conscience de la multitude de choses auxquelles nous devons penser et que nous devons faire.
J’avais déjà dû choisir d’habiller ou non la défunte, puis le lieu où elle attendrait qu’une place fût disponible dans le planning du crématorium, de même qu’on m’avait demandé de décider de la composition du coussin de fleurs fraîches… Pour cela, j’avais dit que l’on utilise des fleurs rouges et orangées de préférence, en évitant la couleur rose qu’elle n’aimait pas particulièrement.
Maintenant, le jour était arrivé. Il y aurait la mise en bière à onze heures, à la Maison funéraire, avec l’apposition des scellés par la police ; puis la cérémonie civile au crématorium à midi quarante-cinq et le départ du cercueil vingt minutes plus tard. J’avais gravé un CD pour la musique et une copie sur une clé USB par sécurité. On m’avait demandé si l’un de nous voudrait prendre la parole ou dire un texte, mais j’avais décliné l’offre après consultation de mes proches. L’ordonnatrice dirait quelques mots ; elle en avait l’habitude.
Par expérience, nous savions que la crémation durerait quatre-vingt-dix minutes, alors nous avons décidé d’occuper ce temps en proposant aux personnes présentes de partager une flûte de champagne et des petits-fours – sans jeu de mots – à la mémoire de ma mère ; à cet effet, nous avions convié tout le monde à ne pas apporter de fleurs, mais plutôt une bouteille de brut. Pour que maman soit avec nous, j’avais tiré et encadré une photo d’elle, prise par Yaël, où on la voit brandir une flûte aux deux tiers vide, prise le jour de son quatre-vingt-quatorzième anniversaire. Ceux qui la connaissaient ne pouvaient être choqués par cette idée.
Dans la circonstance, le lieu étant le même, comment n’aurais-je pas pensé aux obsèques de mon père ? J’avais alors tout fait pour que la cérémonie soit privée et réduite à la famille proche. Mon père avait eu une retraite très active dans diverses associations de généalogie et je redoutais une présence massive avec d’interminables condoléances que ma mère n’aurait pas supportées. Devoir serrer des mains, écouter une litanie de lieux communs maladroits… ajouter de l’horreur à la peine. J’y étais quasiment parvenu.
Pour ma mère, comme elle était très âgée et relativement isolée depuis des années, la question ne s’était pas posée pour moi. Je m’attendais à un nombre de participants très restreint, or je fus un peu surpris par l’affluence. En même temps, je dois reconnaître que ma situation personnelle fait que je possède deux belles-familles, ce qui élargissait le cercle des personnes désireuses de m’entourer dans cette épreuve. Et puis, il fut un temps où ma mère participait aux repas et sorties de groupe que nous organisions avec Yaël et certains voulaient montrer qu’ils s’en souvenaient. Fernanda avait tenu à venir avec son mari, pour un dernier adieu à celle avec qui elle avait passé tant d’heures complices.
Je ne me souviens plus des paroles prononcées par l’ordonnatrice, les ai-je seulement entendues ? Elle parlait sans micro, d’une voix fluette. Il me revient qu’elle m’a demandé ce qu’il fallait faire du coussin de fleur. Il n’y aurait pas moyen de l’accrocher à la stèle, voulions-nous qu’il parte avec le cercueil ou bien que chacun en détache une fleur pour la déposer sur la bière ? J’ai opté pour la seconde solution. Je déteste l’idée des fleurs coupées, alors en faire une composition pour l’envoyer dans un four chauffé entre 850 et 1 000 °C me révolte !
Avant l’escamotage du cercueil, il y eut un moment de recueillement au son d’un enregistrement de l’Adagio d’Albinoni, interprété – comme je l’ai précisé – à la trompette par le père d’Yves. J’avais choisi ce morceau pour deux raisons, la première étant que c’est une œuvre que j’avais souvent écoutée avec ma mère en voiture, lorsque nous allions nous promener à la nuit tombante autour de Beaumont, la seconde était d’associer l’artiste à la famille. Il était visiblement très ému, et du départ de ma mère qu’il connaissait peu, et de s’entendre à ce moment-là.
Pour le « pot de départ » qui suivait, j’avais choisi un programme musical éclectique, n’hésitant pas à faire se côtoyer des chansons légères avec d’autres plus sérieuses. J’avais notamment découvert un petit bijou de Petula Clark : Tout le monde veut aller au Ciel… [mais personne ne veut mourir], cependant je pense que personne n’y a véritablement prêté attention. Chacun un verre dans la main, des petits groupes se sont formés et il y a vite eu un léger brouhaha comme on peut en entendre dans les vernissages et manifestations de ce style.
Je ne crois ni à Dieu ni à diable, mais si toutefois il existe un autre monde duquel ma mère a pu assister à cette scène, alors je n’ai aucun doute sur le fait qu’elle devait être contente que les choses se déroulent ainsi.
À l’issue de la crémation, nous étions convenus avec les pompes funèbres de nous rejoindre à seize heures au cimetière de Pouvourville, sur la colline de Rangueil, où l’on avait finalement trouvé une place pour l’inhumation.
Tandis que les amis qui étaient venus à la cérémonie se dispersaient et que la sœur d’Yves raccompagnait leur père, la famille s’est réunie chez Yaël pour attendre l’heure.
Depuis la fin de matinée, Yves et moi étions véhiculés par la marraine de Kévin, qui est également notre voisine. Je ne me sentais pas capable de conduire, ayant l’esprit totalement ailleurs ; quant à Yves, voilà plus de vingt ans qu’il n’a pas tenu un volant.
Je me disais que tout serait bientôt terminé et cette pensée m’était d’un grand réconfort. Les morts ont quelque chose d’encombrant. De fait, ils ne sont plus là tout en occupant beaucoup de place. Cette observation n’a rien de cynique et ne se veut que pragmatique. Si nous voulons bien oublier une seconde les convenances, nous sommes bien obligés d’en arriver à cette terrible conclusion. C’est pourquoi je ne cesse de répéter, depuis la mort de mon père, que je souhaite que personne n’assiste à ma crémation et que l’on se contente au mieux d’aller récupérer l’urne pour en disperser les cendres ou les enfouir dans un endroit que j’aimais, si la chose est encore possible à ce moment-là.
Mes proches sont horrifiés par cette demande toute simple et me disent qu’ils auront besoin d’assister à mes obsèques, que ce sera un passage obligé pour faire leur deuil. Pour ma part, il me semble que j’ai un rapport beaucoup plus simple avec la mort : celle-ci signifie la fin brutale de la vie et donc l’inexistence ; dans ces conditions, il n’est plus rien que l’on puisse faire ou dire qui ait de l’importance pour la personne qui n’est plus. Les animaux sont bien plus pragmatiques que nous, confrontés à la mort de leurs congénères ; il est vrai aussi qu’ils ne sont pas pris à la gorge par un système économique qui fait feu de tout bois et organise la marchandisation de toute chose. Derrière le regard social que beaucoup d'entre nous redoutent, se cache un enjeu d’argent. Et l’économie de la mort est un marché juteux ! Face à la peine et au désir de bien faire, les vautours sont là pour vous vendre des fioritures et accessoires aussi onéreux qu’inutiles. Nombreux sont ceux qui s’y laissent prendre, de peur de passer pour des pingres ou des sans-cœur. Il y a aussi ceux qui organisent eux-mêmes leurs futures obsèques dans le but de s’assurer qu’elles seront dignes de la haute opinion qu’ils se font d’eux, mus par le désir de paraître une dernière fois, avant de disparaître à tout jamais… Ce n’était bien évidemment pas le cas de ma mère, qui avait tenu à faire les choses simplement et avec goût, ce qui était en somme sa marque de fabrique.
Nous arrivions au cimetière lorsque mon téléphone portable sonna. C’était l’ordonnatrice qui appelait pour savoir où je me trouvais car elle avait à m’entretenir d’un problème de dernière minute. Comme nous étions en train de nous garer, elle m’indiqua qu’elle se portait à ma rencontre à l’entrée principale. Je n’avais pas la moindre idée de ce qu’elle me voulait, ni du genre d’imprévu qui pouvait se produire à ce stade de sa prestation. Pour tout dire, je n’étais guère en état de faire fonctionner mon imagination sur ce point.
Tandis que j’avançais vers elle, je voyais que la jeune femme avait quelque chose de différent. Son sourire commercial avait l’air contrit et son regard reflétait une certaine anxiété. Avant même que j’aie pu lui demander ce qu’il se passait, elle se lança dans une longue phrase précipitée, comme on se jette à l’eau en se demandant si l’on saura nager, si l’on sera sauvé. De ce long discours, il ressortait que l’inhumation était impossible en raison d’une incompatibilité entre l’urne et la stèle. « Venez vous rendre compte par vous-même », m’invita-t-elle devant mon incrédulité. Et, ce disant, elle m’entraîna un peu plus loin, devant le mur funéraire.
La famille était restée au portail, assistant de loin à notre conciliabule et se demandant ce que nous pouvions avoir à nous dire. J’avais simplement fait un geste dans leur direction pour leur signifier d’attendre.
Je me retrouvais face au mur de briques qui longe la rue où nous étions stationnés. Un de ces vieux murs, larges, épais, fait de briques du pays à l’ancienne, plus ou moins carrées et plates, d’environ cinq centimètres d’épaisseur. L’urne de ma mère était posée là, dans une encoignure, à côté d’une niche bétonnée. Il y avait de quoi se montrer incrédule, en effet. L’urne qui tenait dans l’épaisseur du mur n’entrait pas dans la case qui lui avait été désignée !
L’ordonnatrice se tenait à côté de moi, légèrement en retrait, et me répétait que c’était la première fois qu’elle se trouvait confrontée à un tel problème, mais qu’une solution allait être trouvée. Je répondis que la plus évidente aurait consisté à changer d’urne, mais que c’était bien celle-ci qui avait été choisie par la défunte de nombreuses années auparavant, que je ne pensais pas qu’elle exista en plusieurs tailles et qu’en outre le transvasement des cendres poserait certainement un souci juridique. Elle me confirma tout ceci et proposa que la famille se recueille une nouvelle fois devant l’urne pendant qu’elle rappelait son patron.
J’étais tellement abasourdi par cette situation ubuesque, que j’avais du mal à garder mon sérieux. Je pensais que ma mère devait bien rire de ce tour ultime qu’elle nous jouait. J’éprouvais en même temps une certaine compassion pour l’employée des pompes funèbres, qui redoutait que je prenne fort mal la situation et m’en prenne à elle. Or, j’étais d’un calme olympien qui ne me ressemblait guère, ce que tout le monde remarqua et me fit observer par la suite. Je la rassurais en disant qu’elle n’était en rien responsable mais que je me demandais comment il était possible, dans une Europe qui légifère et impose des normes sur la courbure du concombre, personne n’ait pensé à s’assurer de la compatibilité des urnes commercialisées avec les cases qui leur sont destinées, et réciproquement.
Nous nous recueillîmes une dernière fois au son de l’Adagio, après que j’eus expliqué la situation à tout le monde ; puis l’ordonnatrice annonça que la case allait être revendue et qu’une case double serait achetée, à la place. Cela allait prendre quelques jours, mais elle s’occupait de tout et sans supplément. Elle me demanda si je voulais garder l’urne entre-temps, ce que je refusais pour deux raisons : d’abord pour la forcer à activer les choses, ensuite parce que je me souvenais de l’odeur de cendres tièdes qui avait durablement imprégné ma voiture lorsque j’avais transporté l’urne de mon père jusqu’à Beaumont pour l’y enterrer.
Pendant la vingtaine de minutes que nous avions passée dans ce cimetière, deux avions gros-porteurs l’avaient survolé à ras des tombes ou presque. Nous fûmes tous d’accord pour dire que c’était une bonne chose pour le repos de ma mère qu’elle ne puisse rester là, en définitive.
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