mercredi 2 janvier 2019

Dernier Noël 2/2

III.


Il n’était ni triste ni particulièrement aigri.
L’idée de sa mort lui était venue deux ans plus tôt, lorsqu’il avait constaté qu’il serait bientôt à court d’argent, son maigre héritage ayant fondu lentement, sans dépenses somptuaires ni même excessives. Il n’avait jamais eu de gros besoins, vivant une vie simple et honnête, mais cela lui était apparu comme une évidence qu’elle ne pourrait plus continuer longtemps ainsi, faute de moyens. La solution la plus élégante pour échapper à une dégringolade inéluctable vers l’assistanat puis la mendicité s’était imposée à lui : un suicide. Si possible pas trop violent ni douloureux, ni bruyant, ni dangereux pour les autres. Bref, ne pas se jeter en voiture contre un mur, ni se tirer une balle de revolver – de toute façon il n’en possédait pas –, ni ouvrir le robinet du gaz au risque que le facteur fasse sauter l’immeuble en sonnant pour un ultime Recommandé.
Pendant vingt-quatre mois, il avait préparé son passage à l’acte méthodiquement, effaçant peu à peu ses faibles traces. Son idée était d’en finir sans drame inutile, de simplement disparaître. Bien sûr, il aurait pu choisir de se noyer au large, ce qui aurait réduit les risques d’être retrouvé ou identifié si cela avait été le cas. Cependant, il ne savait pour quelle superstition, il ne parvenait à se résoudre à l’idée de n’avoir pas de sépulture. Sans doute un reste d’enfance, le désir du corps retournant à la terre plutôt que dévoré par des poissons ?
Il voulait croire qu’il ne laissait personne derrière lui, mais il savait bien que ce n’était pas entièrement vrai. Nous avons tous, toujours, plus ou moins proches de nous, des personnes à qui nous ne sommes pas totalement indifférents. Ne serait-ce que la jeune femme de la boulangerie qui nous tend notre baguette quotidienne en échangeant quelques mots anodins et des sourires aimables. Le nôtre est peut-être l’un des rares qui illuminent ses journées ; sa disparition lui fera de la peine ou créera un manque… Ou bien un neveu dont nous n’avons jamais de nouvelles, mais qui n’en pense pas moins à nous avec une certaine nostalgie du temps où l’on était plus intime, sans toutefois faire l’effort d’appeler ou d’envoyer un mot, un mail, un SMS.
La solitude totale existe-t-elle vraiment ? N’est-elle pas un leurre, un sentiment tronqué ? L’indifférence des gens autour de nous est évidemment une sorte de solitude, mais ce n’est pas le vide total. Il y a jusqu’au cœur de cette indifférence une interaction, à travers des regards, des silences, des mouvements imperceptibles de corps qui s’écartent pour éviter le contact dans un ascenseur ou une file d’attente. Rien ne nous permet d’affirmer que le type du troisième, qui ne dit jamais bonjour, ne serait pas le premier à s’apercevoir de notre disparition et à s’en émouvoir au point d’interroger le concierge… s’il y avait encore des concierges dans les immeubles, pour faire lien ou tampon entre les locataires.

Il n’avait plus de famille proche. Deux mariages sans enfants, deux divorces sans passion. Pas de collègues, ni de lointains copains de régiment, moins encore d’ami d’enfance. Un vide entretenu avec soin, comme l’on s’occupe d’un rosier grimpant ou d’une collection de timbre. Aucune misanthropie, un simple désir de se tenir à l’écart d’un monde qu’il n’avait jamais vraiment compris, dont en tout cas il n’avait pas partagé les valeurs. Quand chacun courrait, après le temps, l’argent ou les honneurs, il avait fait profession d’être sédentaire, mettant à profit une célèbre morale de La Fontaine pour qui il s’agissait davantage de « partir à point ». Or, au bout du compte, n’était-ce pas ce à quoi aboutissait son ultime résolution : partir à point ?

Il avait profité de quelques week-ends pour visiter les marchés de plein vent et y acheter des vêtements, sous-vêtements, chaussures passe-partout, sans marques et impossibles à tracer. Pour faire bonne mesure, il s’était ingénié à en découdre soigneusement les étiquettes sur lesquelles figuraient la taille et les conseils de lavage. Grand amateur de polars et séries policières, il s’était fait une idée précise – fantasmatique ? – des moyens à mettre en œuvre pour empêcher son identification postérieure. C’est ce même souci qui devait dicter sa décision d’emporter les comprimés nécessaires dans un sac de congélation, afin que l’on ne puisse – grâce les boîtes et les numéros de lots – trouver la pharmacie qui les avait délivrés.
Il avait résilié le bail de son appartement, donné les meubles qu’il possédait à une association d’aide à la réinsertion des sans-abri, résilié l’abonnement de son téléphone portable à compter du 23 décembre, prévenu la demi-douzaine de personnes avec lesquelles il avait des contacts réguliers qu’il allait s’installer au Portugal ainsi que le faisaient de plus en plus de retraités français pour échapper au déclassement auquel ils étaient confrontés dans leur propre pays.
À coups de petites sommes hebdomadaires, il avait vidé méthodiquement son compte bancaire, de sorte que le maigre pécule qu’il laisserait à l’attention de la commune sur laquelle il irait mourir soit constitué de billets dont les numéros ne se suivent pas et dont la provenance soit répartie sur une centaine de distributeurs automatiques situés dans différentes villes. Excès de précaution, sans doute, mais cela avait fini par devenir un jeu. En sorte que l’on pouvait dire qu’il ne s’était jamais autant amusé qu’à la préparation de son geste final.
S’installant dans un hôtel meublé, il n’avait donné aucune nouvelle adresse à son ancienne propriétaire ni à la poste pour faire suivre son courrier. Un courrier qui n’était fait, le plus souvent, que de publicités adressées car l’administration était de plus en plus dématérialisée. Même certains magasins, désormais, faisaient l’économie d’un ticket de caisse physique en vous envoyant un décompte par mail. Il n’y a pas de petit profit aux yeux des plus riches ; c’est une chose avérée que la générosité est du côté de la pauvreté : moins on en a, plus on donne. Parce que l’on sait ce que c’est de manqué, quand les nantis n’ont pas ce genre de bas soucis.
Il n’avait pas clôturé son compte postal. Sa maigre pension de retraite continuerait donc à y être versée, ses impôts à y être prélevés. D’autant plus qu’avec le prélèvement à la source qui devait entrer en vigueur le mois suivant son décès, sans biens immobiliers ni logement locatif, l’administration fiscale n’aurait plus d’occasion de chercher à lui prélever quelques sommes que ce soit. Cela durerait des mois et sans doute des années. Puis le compte serait signalé « inactif » et une longue procédure serait lancée avant qu’un petit homme en costume aille au tribunal assister à l’audience qui en permettrait la clôture définitive. Là aussi, les relevés de compte étaient désormais accessibles par Internet et ne faisaient plus l’objet d’un envoi postal. La Poste qui se plaignait de la chute du volume de courriers qui la mettait en péril était la première à en faire l’économie. Le serpent technocratique se mord si souvent la queue…

Dans ses ultimes recherche sur le Web, il s’était rendu compte que le suicide figurait au treizième rang mondial des causes de mortalité, tous âges confondus même si les jeunes y avaient une place prépondérante. Chaque année, entre 10 et 20 millions de personnes tentent de mettre fin à leurs jours sur la planète et environ 1 million y parviennent. Il n’y avait donc rien de très original dans sa démarche, sans aller jusqu’à parler de conformisme.
Il avait laissé de côté tout le verbiage médico-psychologique à deux balles tentant d’expliquer comment retenir le geste d’un proche, le sien propre, et pourquoi. Seule la peur de leur propre mort peut expliquer l’hystérie des gens qui condamnent le suicide, se disait-il. Le maigre vernis culturel qui était le sien lui laissait le souvenir de certains grands philosophes qui voyaient, au contraire, dans ce geste ultime une célébration de la vie, puisque vivre c’est faire des choix plutôt que de subir les choses avec passivité.
Son choix était fait. Sereinement, sans regret ni pour l’avant, ni pour l’après. Sans désespoir, sans haine d’aucune sorte. Puisque la vie qu’il avait aimé mener ne serait plus possible et dans la mesure où il n’en voulait pas d’autre, la conclusion s’imposait d’elle-même.
S’il avait eu le moindre doute après deux ans de préparation mis à profit pour jouir pleinement de chaque instant, le climat de ce mois de décembre ne pouvait que le conforter. Les manifestations répétées dans tout le pays, depuis des semaines, pour réclamer plus de pouvoir d’achat, un minimum de respect de la part des élites et une vie digne pour les moins nantis étaient l’exact écho de ce qu’il ressentait. Mais ce n’était pas une prime de cent euros mensuels qui pouvait régler les choses à ses yeux.
En vérité, il ne regardait les informations que de loin en loin, ne se sentant plus concerné par tout cela. Il n’était pas question pour lui de transformer son acte en geste politique. Il n’avait rien d’autre à demander que de pouvoir partir tranquille au moment choisi par lui.

Restait la question de son anonymat.
Son désir était de ne pas faire de vagues, de ne faire de peine à personne en s’effaçant, se délayant dans l’infini comme une aquarelle sur laquelle on renverserait un verre d’eau.
La chose était jouable. Il n’avait jamais eu affaire à la Justice, ne possédait pas de passeport biométrique et sa carte d’identité périmée datait d’un temps où celles-ci étaient encore tapées à la machine à écrire par un fonctionnaire malhabile, ce qui faisait que ses empreintes digitales, sa photographie et son ADN ne devaient figurer dans aucun fichier.
Mourant sans signe distinctif, à des centaines de kilomètres de l’endroit où il avait vécu toute sa vie, il serait – c’était du moins son souhait – impossible de remonter sa piste. D’autant qu’il effectuerait son voyage en payant tout en liquide, sa carte bancaire ayant été soigneusement détruite après son dernier retrait.

*

Lundi 24 décembre 2018.
Comme chaque matin, il avait poussé la porte vitrée de la boulangerie à sept heures sonnantes.
— Bonjour, Mademoiselle Jeanne. Je voudrais deux croissants, s’il vous plaît.
— Au beurre ?
— Surtout pas ! Ordinaires. Ce sont les meilleurs…
Il avait horreur de ces trucs informes que l’on servait partout désormais, dégoulinants de gras et qui vous plombaient l’estomac comme un cataplasme. Pour lui, un croissant devait avoir de la tenue et la forme d’une demi-lune comme ceux de son enfance, que sa mère achetait à la boulangerie Kellermann, au coin de leur rue. Il attaquait d’abord la corne supérieure, puis les deux extrémités avant de finir par le corps central, à la mie aérienne et fondante.
Il avait toujours été gourmand, n’hésitant pas à marcher beaucoup pour satisfaire ses envies. Pour lui, il existait une géographie pâtissière de Paris, passant notamment par la rue de Vaugirard pour les tartes au flan pâtissier, par la rue du Cherche Midi où il se régalait des petits pains de seigle aux raisins de Lionel Poilâne, et faisant fasse au Prisunic de la Convention il se souvenait encore avec délices des Allumettes de cette minuscule boulangerie… Mais tout cela était désormais bien loin dans le temps, ne survivant qu’au fond de sa mémoire intacte, dans laquelle il retrouvait les odeurs, les textures, les sons également… ceux du croquant des pâtes caramélisés, des riz soufflés et de toutes ces sucreries merveilleuses.
— Et avec ceci, je vous mets une baguette bien cuite, comme tous les jours ?
— Non. Aujourd’hui je m’évade en Bretagne pour le réveillon et quelques jours de vacances en famille, répondit-il avec aplomb. C’était sans doute un mensonge inutile, mais il voulait justifier son absence des prochains jours sans donner sa véritable destination. À quel moment Mademoiselle Jeanne se rendrait-elle compte qu’il ne venait plus chercher son pain quotidien ?
­ — En Bretagne ? Alors n’oubliez pas votre bonnet rouge ! plaisanta-t-elle dans un sourire éblouissant.
— Oui. Et mon gilet jaune. C’est le nouveau costume folklorique, là-bas, ces derniers temps…
Ils n’avaient probablement jamais été aussi diserts l’un et l’autre. Était-ce parce que c’était Noël ? Au nom de cette prétendue « magie » qu’il avait toujours trouvée ridicule.
En sortant, il avait murmuré un « Adieu » qu’elle n’avait pas entendu, ce qui était tout aussi bien. Après tout, ils ne se connaissaient pas plus que cela. Lui, savait son prénom parce qu’il avait entendu la patronne le prononcer tandis qu’elle lui rendait la monnaie. Elle, comment l’appellerait-elle lorsqu’elle se demanderait ce qu’il était devenu ; le-monsieur-à-la-baguette-bien-cuite-de-sept-heures-du-matin ?

Il avait mangé ses croissants dans la rue, mettant des miettes partout sur son costume qu’il avait dû épousseter avant de rentrer dans le petit hôtel meublé où il logeait depuis six mois.
À la réception, il avait vérifié que tout était en ordre au niveau des paiements et confirmé qu’il rendait la chambre après être monté chercher ses bagages.
Il s’était lavé les mains, passé un peu d’eau sur le visage, avait troqué son costume pour les vêtements bon marché achetés pour l’occasion, réuni les deux ou trois affaires qui traînaient encore dans la chambre, tout fourré pêle-mêle dans sa petite valise à l’exception du costume qu’il avait mis soigneusement sur un cintre.
Après avoir quitté l’hôtel, il avait marché vers la Seine où il avait offert le costume à un SDF qu’il avait repéré là quelques jours plus tôt et qui lui semblait devoir apprécier ce geste plus qu’un autre. Quant à la valise, il la balança dans le premier conteneur poubelle sur son chemin.
Il gagna la gare de Bercy où il prit le train Intercités de 9 h 01 pour Clermont-Ferrand. Trajet direct comportant quatre arrêts de deux minutes chacun dans des villes qu’il ne connaîtrait jamais, Nevers, Moulins-sur-Allier, Vichy, Riom-Châtel Guyon. Arrivée à 12 h 30.
Il lui restait moins d’une demi-journée à vivre. Le temps était beau, quoique légèrement frisquet. Il prit un tramway jusqu’à la place de Jaude et, de là, marcha jusqu’à la cathédrale toute proche. Après l’avoir visitée, il trouva un petit restaurant dans une rue en pente. L’établissement était chaleureux et confortable, avec de vraies nappes et serviettes en Vichy. Il commença par un pounti – sorte de cake au porc, épinards et pruneaux – accompagné d’une salade verte, puis opta pour une truite sauce écrevisses accompagnée d’une truffade, compléta son menu par une assiette de cinq fromages régionaux et une crème brûlée à la verveine du Velay. Il arrosa le tout d’un Saint-Pourçain rouge de bon aloi, dont la serveuse lui expliqua avec une fierté chauvine qu’il s’agissait probablement du plus ancien vignoble planté sur le sol français.
Ensuite, il alla s’installer dans l’une des salles du cinéma Le Paris pour se réchauffer, sans top prêter attention au film. Le repas copieux qu’il venait de faire le portait à la somnolence.
Puis il regagna la gare par le tramway, prit le TER de 18 h 28 en provenance de Vic-le-Comte et à destination de Moulin-sur-Allier pour descendre au premier arrêt. Riom-Châtel Guyon, 18 h 36. Là, il n’eut que le temps de sauter dans le car des Transport Bourleix jusqu’au terminus, quarante-cinq minutes plus tard.
Il avait dans sa poche l’itinéraire complet de son périple, qu’il avait imprimé dans un cybercafé du côté du Boulevard St-Michel.
Le terminus du car était un carrefour banal de quatre routes. Presque désert, sans autre construction immédiate qu’une sorte de bar-restaurant ajouté en annexe à la compagnie de transports. Un bâtiment vieillot, d’un autre siècle, où ne devait entrer qu’une clientèle d’habitués. Il hésita à s’y faire servir un café, mais préféra s’abstenir et rester dans son optique de ne laisser aucune trace de son passage qui puisse permettre à une éventuelle enquête de remonter à son point de départ.
Il y avait encore une douzaine de kilomètres à parcourir jusqu’à son but. Il ne lui restait plus qu’à marcher d’un bon pas, ce n’était l’affaire que de trois heures ; ce qui n’effrayait pas le randonneur accompli qu’il était.


*

Bourbon-le-Lac.
Le nom de la bourgade lui avait tout de suite plu. Il l’avait découvert par hasard, en lançant une recherche sur internet, avec le critère « lac de montagne ». Laissant passer les premières lignes des 49 400 000 résultats trouvés par Google, notamment les « Top 10 des plus beaux lacs de montagne ! », « 15 sites de baignade paradisiaques en montagne ! » et autres, il était tombé sur le site plus ou moins bricolé vantant la base de loisir du plan d’eau naturel de Bourbon-le-Lac. « Bourbon, comme le verre du condamné » s’était-il fait la réflexion.
Il arriva au village par l’arrière, c’est-à-dire la route opposée à celle menant au bourg. D’une certaine façon, l’entrée des domestiques comme il y en avait jadis dans les immeubles cossus au cœur de Paris.
Il trouva la mairie sans trop de peine car un éclairage public succinct permettait de se repérer. Il avait fait les derniers kilomètres de sa marche dans un noir quasi-complet, au maigre faisceau d’une lampe de poche dont la pile avait parfois des signes de faiblesse.
Laissant une épaisse enveloppe de papier kraft dans la boîte aux lettres, adressée à l’attention de M. le Maire, il avait suivi les panneaux indiquant la direction du lac situé à quelques centaines de mètres de la sortie du village, vers l’est.
Il y avait une ère de pique-nique éclairée, avec un barbecue bâti de la même pierre noire volcanique qui encadrait portes et fenêtres des maisons du pays. Il profita de l’aubaine pour allumer un feu dans lequel il jeta ses papiers d’identité ainsi que la poignée de billets de banque qui lui restait. Les pièces furent jetées dans le lac avec son briquet et la lampe.
Il avisa un robinet d’eau potable à quelques mètres de là et s’y dirigea. Fort heureusement, le débit n’avait pas été coupé pour l’hiver. Il venait de se rendre compte que malgré tous les soins apportés à son projet, il avait oublié la bouteille d’eau qui lui permettrait d’avaler tous les cachets serrés dans sa poche.
Après avoir pris les trois comprimés de somnifère, il lui fallut un temps infini pour ingurgiter des 50 g d’aspirine sous forme d’énormes comprimés blancs. C’était un ultime repas qui tranchait radicalement avec celui qu’il avait pris le temps d’apprécié pour le déjeuner à Clermont-Ferrand.
Le maigre feu étant éteint dans le barbecue, il s’éloigna d’une cinquantaine de mètres en longeant la berge, afin de s’allonger dans l’herbe à l’écart. La nuit était froide, cela l’aiderait à s’endormir. Ainsi, il ne souffrirait pas. Il était calme et serein. Déterminé plus que jamais.
Les yeux ouverts, il fixait le ciel étoilé. Demain, il ferait beau. Cette idée le remplit d’une joie irraisonnée. Il était incapable de penser à autre chose qu’à ce Noël ensoleillé dans un trou perdu d’Auvergne, qu’il ne verrait même pas. Le sommeil le gagnait lentement, il s’y laissait aller avec douceur. Plus rien n’existait pour lui que ces dernières minutes loin de tout, loin de tous, face à lui-même, autre façon de dire face au néant.
Au fond, sa vie n’avait pas été mauvaise. Il n’avait rien à regretter de particulier, ni occasions perdues, ni comportements déplacés. Sa mort n’était pas vindicative, ne voulait pas protester ou contester ; elle n’était que l’aboutissement choisi d’un destin qui n’était en rien tragique. Le simple constat de l’impossibilité de poursuivre plus avant sans s’abîmer.
Quand il était enfant, s’il lui arrivait de faire un caprice, sa mère le morigénait d’un ton cinglant : « Ça suffit, maintenant. Il faut savoir s’arrêter ! » Et son suicide n’était rien d’autre que le désir d’obéir une dernière fois à l’ordre maternel. Oui, il fallait savoir s’arrêter !

Toulouse,
25 décembre 2018 — 1er janvier 2019.

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